Blog sur le JDR, la littérature fantastique, des portraits de rôlistes, par un rôliste français vivant au Japon
16 Mai 2022
L'horreur est un thème déjà décliné sous de nombreux labels dans le jeu de rôle, alors que pouvait bien apporter cette gamme produite et éditée par Free League dans le registre ? Fut la question que je me posai alors que je virevoltais autour de ce jeu dont je n'entendais décidément que le plus grand bien.
Après avoir sauté le pas, je découvre Vaesen, inspiré des oeuvres de Johan Egerkrans ,un ouvrage à la couverture qui, au toucher, reproduit une sensation subtile de tissu, une mise en page aux illustrations aux tons vert sombre de forêt au crépuscule, de bleu-noir de la nuit et de blanc immaculé d'un hiver, tantôt d'esquisses au crayon de créatures improbables, et de folklore raconté aux enfants.
Vaesen, du suédois väsen, est un terme faisant référence aux entités surnaturelles, esprits, fées, monstres et revenants qui habitent, invisibles, dans les forêts, les cimetières, les campagnes, et parfois les sous sol des grandes villes. Le jeu a pour thème ces créatures féériques vivant en symbiose avec la nature mais aussi à l'insu des hommes.
Une symbiose participant à un équilibre qui a engendré et nourri pendant des siècles les croyances les plus folles concernant ces créatures magiques qui hantent les profondeurs des forêts.
Dans Vaesen, elles sont bien réelles et bien visibles à ceux qui ont la malédiction d'avoir le don du troisième oeil ("The Sight").
Car si un vaesen peut choisir de se montrer aux mortels à volonté, il ne peut en revanche se cacher de celui qui possède le don. C'est l'un de ces personnages marqué de ce fardeau (voir des monstres et des fantômes tout le temps ne doit pas être de tout repos!) que les joueurs vont incarner, et dont le pouvoir les incline à devenir des chasseurs de vaesen quand l'un d'eux créé des problèmes... de la farce privant de sommeil tout un voisinage à des évènements bien plus terrifiants et sanglants.
Au XIXème siècle, dans la ville d'Upsala, la rumeur enfle qu'un ordre très ancien, et controversé, a refait surface dans le château de Gyllencreutz, la "Société", ancienne cabale, dit on, de sorciers, magiciens, chasseurs de fantômes, sous l'impulsion de la vieille Linnea qui a cherché ses nouveaux membres dans le pays pour les ramener ici et ressusciter l'organisation.
Les vaesen sont agités, agressifs, ils ne se comportent plus de la même façon, et c'est là une source d'inquiétude grandissante car cela risque à terme d'affecter les humains, mais aussi l'équilibre entier dans les hameaux et les villages en bordure des forêts.
Attaqués par un vaesen durant leur jeunesse, membres d'une société secrète ésotérique, sujets à des visions ou des rêves prémonitoires, les nouveaux membres de la Société se retrouvent dans ce château abandonné pour se mettre en chasse de ces créatures.
Fait du même bois que la majorité des jeux Free League, à savoir une motorisation par le système Mutant Year Zero, c'est en terrain familier que les habitués d'au moins un jeu Free League se retrouveront.
Sans entrer dans le détail, le système consiste, lors d'une action entreprise, à faire des jets combinés d'attributs et de compétences, avec un 6 comptant pour une réussite tout le reste pour un échec, des jets pouvant également être poussés une fois pour retenter la réussite, mais au prix de complications plus risquées.
Dans chaque jeu Free League, on retrouve toujours un aspect "une perte pour un gain" dans les règles. Pour Mutant Year Zero, c'est la mutation et ses effets aléatoires, pour Alien c'est le stress, pour Vaesen c'est en frôlant la mort, ou la folie, que le joueur développera des compétences surnaturelles fort utiles: aux portes de la mort ou de la perte de son esprit on franchit un nouveau cap dans "l'autre versant du monde" .
Le personnage peut se construire de deux façons: en s'inspirant d'archétypes clefs en mains -fort sympathiques - ou en choisissant une voie permettant une personnalisation intégrale.
Un personnage joueur est doté d'attributs qui définissent ce qu'il est, avec ce que la nature lui a doté en termes corporel et cérébral : physique, précision, logique et empathie.
À ceci s'ajoutent des compétences propres représentant le savoir acquis, le niveau de formation et l'expérience, ainsi que des talents spécifiques à la profession du personnage, octroyant des bonus à des jets de dés particuliers.
Un personnage dans Vaesen est avant tout quelqu'un qui voit des choses, et que le commun des mortels ne voit pas ; il va de soi qu'il est prédisposé à avoir un vécu un peu... tourmenté. Outre de sombres secrets et des traumatismes passés qui pourraient ressurgir à des moments très inopportuns, on est loin ici de l'investigateur de l'Appel de Cthulhu qui, passant de profane à initié, perd sa santé mentale en découvrant qu'il y a plus que ce que le monde des yeux suggèrent. On peut néanmoins faire le parallèle avec le concept qui établit que plus on en sait, plus on devient fou, mais plus on se rapproche d'un pouvoir insoupçonné.
Ici, le pied est déjà mis dans le monde du surnaturel, et le joueur est déjà en marche pour s'y enfoncer plus loin.
J'ai parlé en début de ce texte d'un équilibre dans la nature existant entre les hommes et les Vaesen. Loin de la chasse au monstre standard, ce que propose Vaesen est bien plus que cela et il pourvoit à la variété en nous offrant une ribambelle de créatures à partir desquelles construire un scénario original, et dont les effets sur la nature et les hommes sont uniques et complexes: un vaesen peut, selon la gravité du déséquilibre, être dangereux et craintif, ou paisible et désireux d'aider, amoureux et enragé, possessif et manipulateur, ou complètement fou...
D'une simple offense à la créature qui nécessite une toute aussi simple - avec un minimum de recherches- réparation, les joueurs pourront être confrontés à de véritables cabales faisant activement commerce avec des Vaesen d'une extrême dangerosité, ou des esprits devenus fous et répandant la peur et le carnage dans un hameau.
Outre les menaces qui constitueront le cœur d'une séance, Vaesen offre également, à l'instar de Mutant Year Zero et Forbidden Land, un volet gestion qui permet de posséder et d'améliorer une base d'opération : le fameux château Gyllencreutz. Là, les joueurs auront tout loisir d'amasser savoir, armes, artefacts, construire des laboratoires et autres aménagements leur permettant de mieux comprendre et combattre l'ennemi invisible. Il ne faut pas oublier aussi la menace que constitue l'homme avare, cupide et envieux, et le château pourra être le siège de nombreuses intrigues, voire avoir un Vaesen y pénétrer pour le hanter et y faire une fête macabre...
Ni un appel de Cthulhu, ni un Maléfices, mais un véritable jeu d'horreur unique dont l'éditeur prouve une fois encore la grande modulabilité de son système phare. Le fantastique en Suède est teinté d'un folklore unique entremêlé d'écologie, d'équilibre entre les hommes et ses forêts, et le XIXème siècle étant celui de la révolution industrielle et de déforestation massive, le soudain chamboulement dans l'attitude des Vaesen n'y est peut être pas étranger.
Un jeu très prometteur dont les aventures devraient également nous susurrer ce message sous-jacent: perturber le fragile équilibre entre l'homme et la nature peut réveiller des forces dont nous n'avons jamais eu conscience jusqu'à maintenant..
La première grande extension de ce jeu à venir le mois prochain nous plongera cette fois dans les mystères et les folklores de l'Irlande et de la Bretagne!