Rouge Delaware: Descente aux enfers de Camden et Philadelphie

"Moi c'est Pat. Tout le monde m'appelle Pat. Sauf toi. Toi tu m'appelles Sergent" vous dira le sergent Walsh en guise de bienvenue. Arrivé à Philadelphie après une mutation au service Liaisons, c'est par cet accueil plein de chaleur humaine que Rouge Delaware nous précipite dans ce côté obscur de l'Amérique, où la criminalité des 5 continents se déchire le gâteau du vice sous toutes ses formes de part et d'autre du fleuve Delaware. 

En activité dans un territoire de l'Amérique gangréné par le racisme, l'insécurité des gangs territoriaux, et d'un répertoire garni de crimes sordides, le service Liaison est un service de police particulier qui n'a de juridiction ni sur Camden ni sur Philadelphie mais... qui fait le lien entre les deux.

Crée à la suite d'un attentat à la bombe sale à Philadelphie, il fut établi par l'enquête post mortem que l'opération avait été mise en place à Camden, et que les polices de part et d'autre du fleuve ne communiquaient pas. En conséquence, et le Sergent Walsh le dit avec les mots qu'il faut "ils ont eu la riche idée de rassembler un tas de flics, issus de tous les services et départements, histoire qu'ils puissent bosser un peu avec tout le monde. Conclusion, personne ne veut bosser avec nous".

C'est donc sur les restes fragiles d'un échec administratif que commencera l'aventure des investigateurs, tous commençant nécessairement comme inspecteur de police ou élément rattaché au service Liaison, directement ou indirectement. 

Rouge Delaware est un setting pour le mythe de Cthulhu des éditions Les XII Singes, écrit par Benoît Attinost, situé dans un cadre contemporain et motorisé par le système Cthulhu Hack; il fournit une fiction de base solide sans astreinte au seul système suggéré, et peut s'adapter à n'importe quelle autre mécanique pour qui voudrait en fournir l'effort. 

L'ouvrage d'une centaine de feuillets, réédité récemment à l'occasion d'un financement participatif, dispose d'une mise en page dont les tons lugubres nous mettent dans l'ambiance dès l'introduction (Merci aussi au Sergent!) et n'est pas sans nous rappeler, de prime abord, des ambiances à la Rick Hunter(avec précisément le patron irlandais toujours de mauvais poil).

Mais à mesure que l'on explore Rouge Delaware, on frôle davantage un Equalizer (version cinéma), Training Day avec Denzel Washington  et un Cartel avec Michael Fassbender pour le décor de fond, tant les thématiques de ce film sont également présentes dans ce jeu: corruption de flic à grande échelle, traffic d'êtres humains, traffic de drogue, combats clandestins, cybersexe et même plus loin dans l'écoeurant avec traffic d'organes, prostitution infantile, pornographie genre "snuff movie" (7 mm avec Nicolas Cage) et pléthore de thématiques qui font de Rouge Delaware un setting qui s'adresse exclusivement à un public adulte et averti. 

La visite du propriétaire est narré par l'inimitable Sergent Walsh qui ne lâche pas la jambe du lecteur sur 41 pages, et fait l'état des lieux des grands pontes de la criminalité de Philadelphie et le constat est flagrant: on a là les pires ordures qu'un citoyen ordinaire n'oserait imaginer que dans une fiction dystopique: syndicat du crime Géorgien, Italien, Jamaïcain, Triades chinoises, mafia porto-ricaine, mafia Irlandaise, gang de motards néonazi, gang des ghettos de Camden, bref, les nids de frelons pullulent. Mais que fait donc la police ?

La police, ça tombe bien, a beaucoup d'affaires à traiter, le genre d'affaires non résolues et dont personne ne veut, surtout si c'est du ressort des Liaisons; vous devinez les veinard(e)s qui vont en hériter ? Non pas d'erreur le doigt pointe bien vers vous. 

Les dites affaires du service Liaison mettent très vite le doigt sur le fait que quelque chose ne va pas dans les deux villes... 

Des bus entiers de vieillards claquant leur retraite aux courses disparaissent, mais pas que... Des gens sans aucun lien avec les premiers disparaissent un temps, puis réapparaissent à poil, amnésique et avec un membre en moins, d'autres portent des scarifications, et finissent à l'hôpital psychiatrique, incontinents, et fous à lier.  

La violence parmi les gangs de Camden connaît des pics explosifs entraînant des tueries effroyables qui laissent rarement des blessés, et beaucoup de cadavres réduits en charpie.

Et, récemment, un groupe de vigilantes vêtus de bures torturent et assassinent au hasard des membres des mafias locales et exposent leur cadavre dans des endroits bien voyants. 

La ville, jadis touchée par l'explosion d'une bombe sale, est aussi régulièrement envahie par un brouillard à l'origine non déterminée, et qui, selon des témoins, provoque des hallucinations: des gens perdus dans cette brume épaisse, baptisée "la Poisse", ont juré avoir vu des "choses" gigantesques y déambuler. 

Outre les horreurs classiques inhérentes à la nature du crime qui gangrène les deux versants du Delaware, celle du mythe rôde insidieusement. Soyons honnête, la mise en place du décor est très alléchante, elle tient en peu de page et on est plongé dans l'ambiance dès les premiers mots du sergent Walsh.

A ceci il faut compter la foultitude de personnages clefs qui donnent à eux seuls le ton de ce à quoi l'on peut s'attendre, en citant notamment les chefs de famille mafieuse, les "collègues" des joueurs au service Liaison et la présence d'agents fédéraux en poste comme "liaison" avec le FBI, bref un véritable bac à sable avec nombres d'acteurs avec lesquels tisser des trames saupoudrées d'horreur du mythe. 

L'ouvrage vient, outre quelques touches avec les affaires non résolues, avec deux scénarios complets et une dizaine de pages consacrées à des intrigues et autres lieux exploitables. Jouable en campagne ou en scénarios courts, voire en one shot, Rouge Delaware est une pépite en son genre, et étant personnellement extrêmement difficile avec les jeux de rôle en contemporain, celui ci me comble sur tous les plans.

Motorisé par le système Cthulhu Hack, l'occasion se présente ici pour vous en faire un rapide aperçu. 

Le principe du système Cthulhu Hack se construit sur deux mécanismes principaux: les sauvegardes et les ressources.

Les sauvegardes sont des jets de dés destinés à contrer une menace par rapport aux 6 attributs d'un personnage: Force, Dextérité, Constitution, Sagesse, Intelligence et Charisme.

Les ressources sont ce qui permettent à un joueur de réaliser une action spécifique, mais aussi ce qui leur permet de gérer leur santé mentale. Les ressources sont utilisées de trois façons: le matériel (équipement possédé par le joueur), la santé mentale et l'investigation (Torche et Bagou). 

La particularité de ces 3 façons d'user des ressources d'un joueur est que, plutôt que de suivre au détail l'amenuisement de ces ressources, chacune de celles-ci est représentée par un dé. Chaque usage d'une ressource quelle qu'elle soit nécessitera un jet avec le dé de départ indiqué. On peut avoir au début une ressource du niveau d'un dé de 12, mais si le jet indique un 1 ou 2, ce dé est rétrogradé à un dé de 10, et ainsi de suite. La ressource s'épuise dés lors que celle ci est au dernier niveau de dé (1D4) et que le joueur obtient un 1 ou 2 pour rendre son usage impossible, on dit alors que la ressource est épuisée.

Dans le cadre du matériel, un épuisement indiquerait que le joueur, selon la situation, verrait son arme se briser ou tomber à court de munitions, que sa lampe torche épuise ses piles, ou qu'il n'a plus rien à manger, ou de médicaments etc.

Dans le cadre de la santé mentale, c'est simple: la folie guettera le joueur.

Et enfin dans le cadre de l'investigation, le joueur se retrouverait à court d'options ou d'idée et ne pourrait rien faire sans l'aide de ces camarades. Notons également que pour l'investigation, deux ressources lui sont liées: Torche qui correspond à la ressource utilisée dans le cadre où un joueur rechercherait quelque chose ou quelqu'un physiquement, et Bagou qui correspond à la ressource employée lorsque l'on veut convaincre, séduire, cuisiner quelqu'un ou pêcher des informations via l'écoute discrète d'une conversation ou de ragots. 

On évite ici la multiplicité des compétences, dans lesquelles on peut avoir des joueurs s'y perdant, pour un système très flexible qui s'adapte en fonction de la narration des joueurs et qui permet d'avancer de façon très fluide (à condition de ne pas faire fumble après fumble à la suite). 

Voilà pour une vision très simplifiée du système. 

J'ajouterais aussi qu'une campagne dédiée à Rouge Delaware "Le sixième sceau" est également disponible chez les XII singes, ce qui promet une longue jouabilité de ce module relativement court, efficace et alléchant et qui, je le dis sans hésiter, a tout d'une grande. 

Mention très spéciale pour les modules pour jeu en ligne qui sont tout simplement du pain béni tant les temps de préparation s'en retrouvent divisé par 4. Les XII singes ont eu l'excellente idée de systématiser pour la plupart de leurs jeux, des modules numérique avec set de pions, cartes, aides de jeu et fiches pouvant être intégrés à toutes les plateformes de JDR en ligne (Roll20, VTT Foundry, Let's Role... )

Je terminerais ce retour en remerciant le camarade de l'appel du JDR qui m'a mis sur la piste de cet ouvrage il y a deux ans et qui m'a fait me mettre à l'affût de sa réédition.

Simplicité, efficacité et originalité imprimé dans un ouvrage de très belle qualité, d'une maison d'édition qui a su se positionner très vite pour pouvoir satisfaire aussi bien les besoins en jeu de rôle sur table (référence à mes sensibilités bibliophiles, car j'aime les livres de qualité) que sur plateforme digitale.

Disponible sur le site des XII singes ci dessous:

https://www.les12singes.com/78-cthulhu-hack

Et je vous propose également de voir la vidéo que l'appel du JDR avait faite à l'occasion de la première sortie de l'ouvrage.