Blog sur le JDR, la littérature fantastique, des portraits de rôlistes, par un rôliste français vivant au Japon
24 Octobre 2025
Je commencerais ce billet par une confession: le cyberpunk ne m'a jamais véritablement attiré. J'ai toujours apprécié les films comme Bladerunner, Judge Dredd, Matrix, mais la perspective de jouer dans un monde où l'homme se confond avec la machine n'avait jamais véritablement provoqué en moi l'étincelle capable de s'allumer.
Ma première expérience, catastrophique, fut une tentative avec The Sprawl, qui m'a fait détester à la fois le système PbtA et le cyberpunk. Et pourtant, depuis, je me suis réconcilié avec les deux. Il a suffi d'un bon meneur et d'un univers qui me parle pour le premier.
Pour le deuxième...c'est l'objet de ce billet.
La vague cyberpunk a fait parler d'elle à plus grande échelle avec le lancement du jeu vidéo Cyberpunk 2077 de Projekt Red. Et quel jeu!
Night City, le début de la fascination
Construit autour d'une ville aussi vaste que le district de Shibuya, Cyberpunk 2077 est l'un des rares jeux à offrir un open world citadin à la fois immersif et somptueux. Sans m'éterniser sur le jeu et sa mécanique, il est simplement important de comprendre ici que mon interêt pour le jeu de rôle de Cyberpunk est né de l'exploration de Night City sur console PS5.
L'histoire, l'ambiance, le jeu des personnages, les corpos, les gangs, la violence - tous les ingrédients pour s'imprégner de cette vision d'un monde dystopique où l'humain et la machine s'entremêlent, sont réunis.
Naturellement, cette passion naissante pour l'univers m'a conduit à regarder la série Edgerunners sur Netflix, qui se déroulé peu de temps avant les évènements de cyberpunk 2077.
C'est d'ailleurs parmi ces passionés de l'univers que s'est formée notre table de jeu, autour du livre de règles de Cyberpunk Red.
Edité dans sa version française par l'incontournable Arkhane Asylum Publishing, le livre de près de 450 pages offre une base solide.
Les mégacorpos et la chute de l'humanité
Le livre propose un historique situant le monde du début de siècle comme dominé par les méga-corporations, véritables forces alternatives aux gouvernements, devenus obsolètes face au pouvoir financier et militaire de ces géants.
Le progrès de la science permet désormais de créer des "augmentés": des êtres dotés d'implants cybernétiques renforçant leur facultés physiques et mentales, parfois au prix de leur humanité, jusqu'à en faire des machines dépourvues d'empathie et de compassion, devenues des tueurs de sang-froid, sombrant dans la cyberpsychose dans le pire des cas.
L'Intelligence Artificielle a connu un essor hors de tout contrôle au point, que certaines entités sont devenues dangereuses pour l'homme - et notamment tout particulièrement pour les netrunners, ces hackeurs du futur qui connectent leur système intégrés à leur cerveau pour plonger dans les réseaux.
Un univers glaçant mais fascinant, où la frontière entre progrès et dégénérescence n'est séparée que par une ligne de code. Cet univers nous plonge au coeur de Night City, une ville qui m'est visuellement familière, avec ses gangs, ses quartiers aux identités bien affirmées: Japan Town, Little China, Watson, The Glenn, Arroyo...
Vivre et survivre à Night City
Dans Cyberpunk, nous jouons un cybermerc, un mercenaire augmenté gagnant sa vie avec des gigs (missions) fournis par des "fixers"(intermédiaires) disposant des bons contacts.
Mais à Night City, tout le monde peut devenir mercenaire.
Quand les fins de mois sont difficiles, un policier ou un médecin peut arrondir ses revenues, et même des corpos s'adonnent à ce side business pour grappiller quelques bonus et avantages utiles à leur ascencion professionelle.
C'est pour cela que les archétypes jouables sont aussi nombreux qu'originaux.
Parmi eux:
Et bien d'autres encore, mus par une même motivation: survivre pour ne pas finir à la rue. Car la rue est impitoyable, et l'espérance de vie bien courte à Night City, surtout quand on a tout perdu.
Un système efficace et létal
Le système de Cyberpunk repose sur des principes analogues à ceux de nombreux jeux de rôle: un personnage dispose de caractéristiques définissant ses attributs physiques et mentaux, ainsi que de compétences dont la valeur dépend de son niveau d'expérience.
Soyons clairs, les compétences sont nombreuses. Cyberpunk Red dispose d'au moins une cinquantaine de compétences diverses. Toutes ne seront jamais utilisées, mais cette diversité permet de lever toute ambigüité d'interprétation lors d'une action à entreprendre et, en jeu, elle rend la résolution particulièrement fluide.
Les jets de compétence se font contre un niveau de difficulté à battre. Quand on affronte quelqu'un, on fait un jet en opposition avec la meme compétence, et le score le plus haut l'emporte selon la formule suivante:
Score de caractéristique + Score de compétence + 1d10
Si le d10 affiche un 10, il est dit "explosif" : on le relance et on ajoute le nouveau résultat au précédent.
Les combats se résolvent de la même manière, à ceci près que les armes permettent d'effectuer autant d'attaques que leur niveau de ROF ou Cadence de tir (y compris pour les armes de mêlée).
Cyberpunk est un jeu mortel. Un personnage disposant de 25 points de vie et touché par un pistolet infligeant 3D6 de dégâts à chaque coup, peut perdre plus de la moitié des sa santé en quelques secondes (la durée du round de Cyberpunk n'étant que de 3 secondes!).
C'est aussi un jeu où une agression verbale, une bousculade dans la rue, peut très vite dégénérer en fusillade mortelle. A Night City, on défend son ego, avec style...et panache.
Un cybermerc ne vit pas pour vieillir dans un fauteuil. Il vit intensément, prend tous les risques pour atteindre les sommets - ou mourir, et devenir à son tour une légende de Night City...ou finir dans une décharge, à pourrir dans l'oubli.
Sous les néons des gratte ciels, entre ciel et terre, entre crasse et lumière
Car le monde de Cyberpunk n'a rien de joyeux. C'est une dystopie où l'humanité s'est égarée dans l'excès de ce qui a fait son plus vieux péché: la quête du pouvoir et du profit. La société s'est déshumanisée jusqu'à l'absurde. Les hommes ne sont plus que des outils, périssables et aussitôt remplacés.
Night City est prise en étau entre les gangs, les mafias, les corporations et un gouvernement municipal tout aussi corrompu, dont le bras armé -le NCPD (la police)- entretient l'ordre à coups de matraques, pots de vins...et exécutions sommaires.
Les habitants cherchent l'oubli dans les braindances, des simulations sensorielles hyperréalistes leur permettant de vivre les sensations de ce dont ils deviennent les acteurs.
L'exploitation sous tous ses formes est omniprésente: les "dolls", prostitué(e)s augmenté(e)s qui abandonnent leur corps à des programmes préconfigurés, pour incarner l'objet d'un fantasme, tandis que les Scavengers arrachent les implants encore tièdes de ceux qui ont eu le malheur de croiser leur route.
Cyberpunk ne dépeint pas l'avenir radieux que la science promettait. Il en dévoile une face plus sombre: celle d'un progrès prisonnier de la surconsommation, où l'humain n'est plus qu'un rouage d'une machine qui l'a dépassé.
Et en contrepartie, l'humain, n'a pas de plus grande faim que de survivre, quel qu'en soit le prix. Ce prix, souvent, c'est son humanité.
Jouer dans Cyberpunk, c'est jouer pour gagner, pour ne pas mourir, pour être le premier à tuer avant d'être tué. C'est jouer pour devenir une légende, une vie courte, une mort retentissante, pour laisser son nom devenir un cocktail servi au plus grand bar des mercs: l'After Life, là où les mercs tombés devenus légendes vivent encore, gravées dans la mémoire des vivants - et sur le nom d'un cocktail.
Et jouer dans Cyberpunk avec humanité, c'est peut-être aussi l'occasion de faire une différence, d'apporter un éclat de lumière dans la crasse d'une ville étincelante de verre et d'acier, où la beauté des hauteurs cache la pourriture des bas-fonds.
Une boucle narrative bouclée
Cyberpunk Red se situe en 2045, Cyberpunk 2077 en l'année de son titre, et Edgerunners en 2076, soit un an plus tôt. Pour cette découverte du jeu de rôle, nous avons opté pour jouer l'adaptation récente d'Edgerunners mission kit, motorisée par le système Cyberpunk Red, et prenant place juste après les évènements qui ont conclu la saison de la série Netflix.
Doté d'un niveau d'avancement plus en phase avec ce qu'offre le jeu Cyberpunk 2077, nous avons pu nous remettre à la première personne dans Night City, pour la parcourir et la vivre selon les lois de la table, au gré des infortunes et opportunités d'un maître de jeu.
Commencée avec le jeu vidéo, prolongée par la série Netflix, puis revenue à la table, la licence Cyberpunk a su bâtir un arc narratif complet à travers les médias - un cycle qui nous offre son visuel, sa musique, son cinéma, avant de nous ramener à sa source: le jeu de rôle.
Une belle histoire que je me fais plaisir à partager avec vous.Parti du mauvais pied avec le genre cyberpunk, j'y ai retrouvé aujourd'hui une part de fascination, et d'humanité, qui m'ont conquis.
Cyberpunk Red chez Arkhane Asylum Publishing.
Edgerunners Mission Kit n'est disponible qu'en anglais - en japonais aussi-, mais des oisillons me chuchotent qu'une version française est sur le point d'arriver. Stay tuned!