Blog sur le JDR, la littérature fantastique, des portraits de rôlistes, par un rôliste français vivant au Japon
22 Juin 2025
Lorsque Meute est venu prendre place dans ma bibliothèque, j'avoue avoir hésité par quel bout le prendre. Un jeu de loup-garou dans une France contemporaine, avec un système épuré, une proposition fondée sur une histoire de meute, de liens forts entre les membres... mais sans monde imaginaire complexe, ni lore tentaculaire. Juste une idée simple, brute: celles de personnages ordinaires, habités par une force ancienne, bestiale et collective.
Nous sommes tellement habitués aux jeux de rôle remplis de pages de contexte pour nous donner les clefs d'un monde que nous peaufinons à notre gré. Meute ne propose pas un univers clé en main. Il ne s'appuie pas sur une mythologie ancienne ni sur un cadre suprafantastique.
Il s'ancre dans les forêts et les montagnes de nos régions, dans les légendes qui font vivre l'imaginaire des terroirs, dans ces petits villages exhalant une magie subtile, dans le silence des sous-bois, dans l'ombre des cavernes. Il nous parle d'être appelés Neuris, tiraillés dans l'équilibre fragile entre raison et instinct de deux âmes, la leur, humaine, et celle du loup.
À la lecture de l'ouvrage, j'ai pensé que Meute était un beau jeu, doté de sa poésie propre. Un jeu où la force du groupe, la solidarité entre membres liés par l'âme animale, est mise en exergue. Une meute qui s'organise autour d'un Alpha, figure centrale autour de laquelle gravite un noyau dur: les joueurs qui incarneront les personnages.
Je ne fais pas toujours de retour sur les jeux que je possède après essai, bien souvent, mes impressions se cantonnent au ressenti de la lecture seule, somme toute très théorique. Mais dans ce billet, c'est en tant que maître de jeu que je vous partage mon expérience après plusieurs séances enrichissantes.
Mise en place
Comme moi, Meute a d'abord suscité un enthousiasme mitigé chez mes joueurs habituels, mais il a parlé à certains, nous permettant d'établir une table de 3 joueurs. Un très bon chiffre, ni trop, ni trop peu, le juste équilibre qui m'épargne souvent d'avoir à batailler pour fixer les agendas de parties.
Ne sachant par où commencer, nous avons fait une première séance de brainstorming pour définir le setting, selon les étapes successives données par le livre. Et cela fonctionne remarquablement bien. Ce cadre collaboratif nous a permis d'établir les fondations suivantes:
Les règles
Disons-le sans détour: les règles sont simples, fluides, pensées pour davantage laisser sa place à la narration.
Chaque personnage est défini par trois attributs principaux:
Un jet de dé se réussit sur tout jet de dé faisant un 5+, le nombre de dés à lancer étant défini par le total Attribut + Vécu + Lien de meute si applicable.
Si le personnage possède une spécialité pertinente, le seuil de réussite descend à 4+ : chaque dé affichant 4, 5 ou 6 sont alors une réussite. À ces attributs correspondent des spécialités dont le niveau de maîtrise fait baisser le seuil de réussite nécessaire pour réussir un jet.
La difficulté d’une action détermine le nombre de réussites nécessaires. Plus l’action est complexe ou périlleuse, plus le seuil de réussites demandé est élevé. Voilà, ni plus ni moins, le cœur du système: rapide à assimiler et qui s'intègre très naturellement en jeu avec un peu de pratique.
In media res
Dès la première séance, le jeu a très vite pris. La meute s'est constituée en ces quelques instants magiques où les personnages deviennent bien plus qu'une fiche: ils prennent corps, deviennent quelque chose de cohésif et de vivant.
La partie s'est ouverte sur une chasse. C'est prévu et conseillé fortement par le livre de base: rien de tel que de traquer une proie pour sentir l'appel du loup, pour donner corps à cette part animale qui sommeille en chaque Neuri. Très vite, les joueurs se sont pris au jeu: ils ont flairé, pisté des proies, couru dans la neige, remonté le vent, traqué un cerf et une biche. Ils les ont poursuivis, puis les ont mis à mort. Le cerf, majestueux, épuisé par la course, s'est abandonné à la mort sous les crocs de l'Alpha après un dernier tête-à-tête où les deux animaux se sont compris.
Laissant l'Alpha prendre la première bouchée de chair, les deux autres Neuris se sont joints à la curée. La Meute a fusionné à cet instant — une fusion complète, sauvage et sublime. Elle a raffermi ses liens dans la chasse, le sang, le partage.
C'est à ce moment là qu'une autre odeur est apparue.
Quelque chose de plus lourd, une trace de cendre, de graisse brûlée, de mort humaine. Une dissonance dans les sens du loup. Alors ils ont laissé leur gibier, et ont cherché.
Et ils ont trouvé: le corps d'une victime, calciné, recroquevillé dans un trou creusé à la va-vite, à demi enseveli par la neige et les feuilles mortes.
Et plus loin encore... une autre odeur. Une sueur persistante, une odeur d'essence. Une odeur fuyante.
Celle du tueur.
Sans réfléchir, n'obéissant qu'à l'instinct, la meute s'est remise en mouvement. L'instinct n'était plus une chasse au gibier, mais une traque. Une traque véritable. Les Neuris ont foncé à travers bois, suivi les relents, croisé des traces humaines, des traces de panique. Ce n'étaient plus des artisans du quotidien, ni des loups chassant le cerf - mais des prédateurs véritables. Et l'homme qu'ils suivaient ne le savait pas encore, mais il était devenu leur proie.
Ils l'ont acculé. Il était pris, terrifié.
Et c'est là que tout a basculé. Le jeu n'était plus qu'une simple narration: la meute existait.Elle sentait. Elle décidait. Elle agissait. Avec instinct. Avec rage. Donnant au jeu le rythme de son souffle, de ses battements de cœur.
Ce qui reste
En tant que maître de jeu, Meute m'a offert ce que j'attends rarement d'un jeu contemporain: du naturel et de l'instinctif, une confiance dans les joueurs.
J'ignore combien de temps durera la campagne qui s'étoffe au rythme des intérêts des joueurs, de leurs actions, des réactions qu'elles suscitent. Mais je sais qu'un lien très différent de ce qu'on voit dans d'autres jeux s'est créé.
Une Meute a pris corps, presque sans effort, entre mes joueurs. Et je dois confesser que le jeu m'a beaucoup surpris.
Pas par sa complexité, mais par sa simplicité, et par sa redoutable efficacité à donner vie à l'expérience qu'il promet.
Un jeu où l'instinct prime, où la raison s'en mêle, et où les joueurs interprètent leurs personnages de manière vivante, incarnée et profondément authentique.
Une belle surprise, que je ne peux que recommander à celles et ceux qui aiment les jeux où l'on ressent plus qu'on ne décrit.
Meute a été, personnellement, un clin d'œil au jeu The Beast Within, sorti dans les années 90 sur PC, où le baron Von Glower -alpha charismatique - tentait de créer une meute en choisissant ses minutieusement ses membres, tissant avec eux des liens d'amitié étroits, profonds, presque intimes. La musique du jeu est d'ailleurs celle que j'emploie durant mes séances. (de Robert Holmes que vous pouvez découvrir sur ce lien)
Mentionnons les belles illustrations d'Olivier Sanfilippo dont on reconnaît la belle patte - sans jeu de mots volontaires ici!- à travers ses cartes, portraits et paysages, où s'insinue l'ombre du loup.
Meute des Editions John Doe