Blog sur le JDR, la littérature fantastique, des portraits de rôlistes, par un rôliste français vivant au Japon
3 Juin 2025
Cela fait bientôt 10 ans que je me suis remis au jeu de rôle en reprenant le fauteuil de maître de jeu. Je ne compte plus les heures de jeux par mois, à quoi bon ? Le jeu de rôle fait littéralement partie de ma vie avec deux à quatre tables différentes au fil des semaines.
Je commence cette série d'articles pour partager mes réflexions issues de cette décennie de pratique: des jeux très variés, des joueurs aux profils multiples, des campagnes brillantes... et d'autres moins. C'est également l'occasion de revenir sur certains écueils, sur ce qui fait qu'une table fonctionne - ou pas.
Et surtout, qu'est-ce qu'une table où le plaisir de mener se mêle parfaitement au plaisir de jouer ?
Construire une table n'est pas aussi aisé qu'on peut le penser.
Trouver des joueurs de jeu de rôle - Facile.
Trouver une table avec des joueurs qui joueront bien ensemble - nettement moins facile.
Trouver une table avec des joueurs qui répondront aux exigences d'engagement du MJ - c'est souvent là que les écueils commencent.
La motivation du MJ: un plaisir égoïste… mais partagé
Je commencerais la réflexion dans le désordre par les exigences d'engagement du MJ. La motivation de mener une partie, que cela soit un scénario ou une campagne courte, voire longue, naît d'une envie personnelle.
Moi, MJ, je veux faire jouer un scénario pour tester un système, pour voir se déployer une intrigue, pour faire prendre vie à une campagne avec le jeu des personnages qu'incarneront les joueurs.
Si je souhaite mener, c'est une envie au fond, égoïste. Mais, paradoxalement, ce plaisir ne peut exister que s'il est partagé avec les autres.
J'ai souvent fait l'erreur de me forcer à faire jouer un jeu qui me motivait à peine, simplement parce que je pensais qu'il ferait plaisir aux joueurs. Je croyais alors qu'un MJ, c'était quelqu'un qui plaçait le plaisir des autres avant le sien. Cette imposture, beaucoup d'entre nous l'ont sans doute vécue.
Un MJ est celui qui:
En bref, un MJ porte beaucoup avant même que le jeu ne commence. Sans motivation personnelle, une telle charge - souvent invisible aux autres - peut très vite devenir ingrate.
D'où l'importance de bien choisir ses joueurs pour la table, pour qui tout cet investissement fait sens. Un format adapté, une fréquence soutenue, un groupe impliqué : voilà ce qui donne au MJ l’envie de continuer à mener — et aux joueurs, celle de revenir jouer. Et c'est précisément là que s'invite le pacte entre le MJ et les joueurs.
Établir un pacte avant de jouer avec vos joueurs potentiels
L'appellation de pacte est souvent usitée pour désigner cet accord mutuel pour définir le cadre du jeu, les attentes et les interdits. Jouer ensemble implique des concessions de chaque côté et de la compréhension réciproque. Mais c'est au MJ que revient, en dernier recours, de finaliser les règles qui régiront la table.
C'est là que nous entrons dans un sujet qui a pu crisper bon nombre de rôlistes: le fait d'établir des règles est trop souvent assimilé à l'interdiction de certaines pratiques dans le jeu de rôle, ou même la pose de limites sur ce qu'il est possible d'aborder durant une partie.
Mais cet aspect est, de toute façon, toujours abordé en amont de la création d'une table, quelle qu'elle soit.
Si vous êtes un MJ qui désire créer une table, il vous faut trouver les joueurs qui seront ouverts au thème proposé du jeu, et qui pourront jouer en toute sérénité avec les autres joueurs. Mais il ne faut pas non plus tomber dans cet excès qui mène à dénaturer un jeu: un joueur qui n'aime ni la violence ni le sang dans un jeu de rôle ne pourra pas, logiquement, s'épanouir dans une partie de Kult ou dans un autre jeu horrifique. Cela coule de source. Et cela doit être dit, clairement, dès le départ.
Confiance et Respect: poser le cadre du jeu
Le pacte consiste à établir les bases d'une relation de confiance et de compréhension mutuelle des attentes de cette table. On fait souvent l'impasse dessus en assumant que tout le monde comprend ce qui est attendu. Hélas c'est une erreur.
Si vous vous engagez à maîtriser, disons, une campagne qui demandera plus de 20 séances, il est très probable que vous ne souhaitez pas la voir patauger en longueur sur plus de deux ans. Ici, il est important que les joueurs comprennent qu'un engagement est nécessaire, à raison d'un accord préalable sur la fréquence, mais aussi, par exemple, sur les conditions en cas d'absence soudaine d'un joueur.
Et il n'est pas exagéré de fixer des jours pour jouer: chacun a besoin d'organiser sa vie, qu'il soit parent (comme moi) ou actif le week-end. Faire un pacte c'est aussi obtenir l'engagement que les joueurs seront bien présents au jour convenu.
Fixer les règles avant de jouer évite les nombreux écueils: partie reléguée au second plan, oublis, annulations de dernière minute... Même si le jeu de rôle est un loisir, un jeu, la souplesse dans ce loisir ne doit pas mener à de la désinvolture.
Non seulement parce qu'elle brise l'accord mutuel entre joueurs, mais elle montre un manque de considération et respect pour tout le travail de préparation du MJ.
Cela s'applique également aux scénarios courts de 2-3 séances, quel que soit le jeu et sa longueur.
J'ai moi-même vécu cet écueil sur une campagne que j'avais soigneusement préparée. J'avais pris le temps de rencontrer chaque joueur individuellement, de discuter de leurs attentes, et nous avions même coconstruit les grandes lignes de la trame lors d'une séance de brainstorming collectif. Mais une erreur de fond a été commise: je n'ai fixé aucune fréquence de jeu. Résultat: les séances se sont espacées de plus en plus. Certains joueurs, qui étaient devenus des personnages centraux de l'intrigue, étaient peu disponibles. À mesure que leur absence s'accumulait, la trame ne pouvait avancer, et ma motivation s'est érodée. Le groupe, pourtant plein de potentiel, s'est lentement désagrégé, non pas par manque d'envie, mais par manque de cadre. C'est ce genre d'expérience qui m'a appris, à mes dépens, l'importance de formaliser clairement les engagements dès le départ.
Accueillir un nouveau joueur: un entretien préalable
Quand un joueur ou une joueuse s'intéresse à ma table, je rencontre toujours la personne en privé via vidéoconférence, pour une discussion franche et expliquer ce qui est attendu de ma part si la personne souhaite rejoindre la table.
On parle bien entendu de disponibilités, d'attente vis-à-vis du jeu, on prévient des thèmes abordés et on s'assure que rien ne choquera ou ne mettra la personne mal à l'aise tout en s'assurant que l'on reste dans l'esprit du jeu. Car, même si on ne peut pas toujours anticiper certaines réactions inattendues, un minimum de compatibilité est essentiel.
S'il y a trop de barrières, trop de réticences qui videraient le jeu de sa substance, alors il vaut mieux être honnête: ce joueur n'est pas fait pour cette table.
S'il y a un conflit de disponibilités susceptible d'affecter la régularité de la table, là aussi il faut être honnête. Ce joueur n'est pas fait pour cette campagne. À moins, bien sûr, qu'il accepte, en alternative, d'occuper un rôle secondaire, plus flexible, qui lui permettrait de participer ponctuellement, sans que son absence impacte sérieusement la trame du jeu.
Une fois le problème des barrières clarifié, il est important d'écouter ce que le joueur aimerait jouer dans cette campagne, de lui demander ce qu'elle lui inspire et ses attentes en termes de développement de personnage. Cette étape est cruciale pour identifier les joueurs dont l'engagement va enrichir la campagne à travers les histoires liées aux background de leur personnage. C'est une étape où le pacte s'affirmera bien plus clairement, grâce au temps individuel accordé à chacun des joueurs.
On dit que l'expérience est une lumière qui n'éclaire que soi-même. Mais à la lumière de ces 10 ans de pratique, je retrouve les mêmes thématiques qui régissent toutes les relations humaines, que cela soit au travail, en société... ou autour d'une table de jeu de rôle. Mener une table, c'est construire une aventure.
Le pacte entre MJ et joueurs ne garantit pas le succès d'une table, mais il en est un moteur essentiel.
Le succès, rappelons-le, n'est pas de terminer la campagne: c'est de créer des moments forts et inoubliables, vécus ensemble, où l'histoire se raconte autant qu'elle se partage.