Blog sur le JDR, la littérature fantastique, des portraits de rôlistes, par un rôliste français vivant au Japon
20 Janvier 2025
Ne nous méprenons pas sur le titre, qui pourrait laisser présager une critique acerbe de l'ouvrage. Il n'en sera rien. Comme je l'ai souvent écrit, mon objectif n'est pas de "critiquer" le travail des autres, mais de partager le ressenti de mon expérience.
Avant-propos: cet article s'adresse particulièrement aux maîtres de jeux, aux joueurs qui ont déjà joué à la campagne dans son intégralité, et aux curieux prêts à affronter quelques spoilers.
Vous êtes prévenus: si vous souhaitez préserver le mystère, il est encore temps de cesser votre lecture.
Pour les autres, on continue!
L'intrigue
La Farce Macabre, un scénario qui prend place dans un hôtel luxueux au cœur de l'Egypte des années 20. Écrite par Alex de la Iglesia, connu dans le monde du cinéma espagnol (Le Jour de la Bête), l'intrigue semble conçue comme pour un long métrage.
L'histoire débute donc à l'hôtel Shepheard au Caire en 1922, une période marquée par l'effervescence provoquée par la découverte, il y a quelques semaines, de la tombe de Toutankhamon. Archéologues, aventuriers et pilleurs de tombes affluent en Égypte, attirés par les trésors de l’Antiquité, mais également par d’autres trésors plus obscurs…
Un mystère qui s'installe
Au cœur de cette excitation, Charles Behler, le directeur de l'hôtel, est confronté à des phénomènes étranges qui troublent la tranquillité de sa clientèle à des degrés tels que la réputation de l'établissement risque d'en pâtir singulièrement:
Désemparé et craignant pour son hôtel, il fait appel à une connaissance qui connaît, par chance, un groupe d'investigateurs ayant déjà résolu des affaires relevant du paranormal.
Une ambiance immersive et progressivement oppressante
D’autant plus que le directeur va fêter son anniversaire le soir de l’arrivée des enquêteurs. Il accueillera également Churchill, Agatha Christie, mais aussi des individus peu recommandables, comme le chef de la pègre Abebaberk Selassie, ou encore l’idiot utile des impérialistes britanniques, le prince Fouad, et d’autres personnages hauts en couleur, réels ou appartenant à la fiction du mythe.
Tout un beau monde réuni pour jouer pendant 2 jours des évènements qui iront crescendo jusqu'à un final très cthulhuesque, où l'on assiste, impuissant, à la manifestation d'une force contre laquelle on ne peut malheureusement rien (en tout cas pas grand-chose) et qui ouvre la voie à une continuité avec, d'après l'ouvrage, les Masques de Nyarlathotep.
Le scénario vient avec un agenda géant -intimidant au premier abord- très complet, décrivant ce qui se passe à chaque heure dans chaque endroit clé de l'hôtel, nous plaçant dans un terrain où il se passe généralement toujours quelque chose où que l'on soit. Les interactions mêmes les plus banales sont régies par un tableau riche de dialogues permettant plus d'une trentaine de rencontres avec des PNJ sans réelle importance, sinon de contribuer à rendre l'ambiance de plus en plus étrange à mesure que le temps passe.
L’étrangeté ira même en s’accentuant, non seulement à cause des phénomènes déstabilisants, mais aussi par les évènements terre-à-terre auxquels assisteront les enquêteurs : des orgies sexuelles dans les chambres, un défilé de prostituées dans celle du futur roi d’Égypte, une hygiène scandaleuse dans les sous-sols de la cuisine, et un Charles Behler soucieux de préserver la réputation de l’hôtel. "Surtout tâchez de rester discrets", répètera-t-il inlassablement avec une affabilité horripilante.
L’incontournable exploration de l’hôtel conduira les enquêteurs à réaliser qu’un complot se trame. La source du problème se trouve évidemment dans les sous-sols de l’hôtel, où ils découvriront un temple antique abritant un gigantesque sarcophage provenant de la tombe de Toutankhamon. Ce dernier est la cause de tous les maux touchant les hôtes, mais il attire également la convoitise d’êtres millénaires extrêmement dangereux, qui résident justement à l’hôtel.
Deux jours pour résoudre l’affaire, et que l’on trouve la solution ou non, la fin semble écrite dans 95 % des cas. À moins d’avoir une équipe d’investigateurs experts dans le mythe et disposant d’un catalogue magique aussi riche qu’en possèderait un sorcier de 500 ans, il compte seulement de savoir si les investigateurs seront allés creuser suffisamment loin pour en voir le bout. Et, comme je le disais plus haut, plus le temps passe, plus les phénomènes s'aggravent: commençant par des visions de phénomène un peu dérangeantes, on vire au cauchemar lorsque, par exemple, une femme porte contre son sein un enfant mort depuis quelques heures qui se décompose comme un vieux parchemin dès lors qu'un investigateur l'effleure.
D'un séjour relativement normal dans un hôtel de luxe, on en découvre la face cachée où la salubrité de l'établissement est catastrophique, où entrer dans une chambre d'un suspect peut être la dernière action que fera un investigateur, où l'on se retrouve à voir neuf copies conformes du même personnage dans une salle... Tout est possible dans l'hôtel, et tout peut basculer très vite, renouant avec une mortalité subite propre aux scénarios de l'Appel de Cthulhu, laissant parfois le MJ ostensiblement en proie à une peur soudaine dès lors qu'un joueur décide de s'aventurer là où il ne faut vraiment pas aller à mi-chemin du scénario.
Les enquêteurs ont commencé à soupçonner le directeur de l’hôtel après avoir exploré le sous-sol sordide, accessible depuis la cuisine. En effet, son attitude amicale et sa tendance à ignorer les incohérences observées dans tout l’établissement, en affirmant ne rien comprendre (ou en refusant de comprendre), ont fait de lui leur principal suspect. Il est passé très près d’être balancé dans une oubliette sombre menant au repaire d’hommes rats et de goules affamés. Ajoutez à ceci un détective de l'hôtel aussi doué qu'un Jacques Clouseau, il n'en faut pas plus pour en conclure que cet hôtel est dirigé par des fous.
Une fin hélas prédéterminée
On retrouvera dans le dernier quart avant l'apothéose, le sorcier Omar Al Shakti -sorcier millénaire que l'on retrouve justement dans les Masques de Nyarlathotep- venant jouer les rituels dans le sous-sol, après avoir ressuscité une jeune archéologue à moitié dévorée par les hommes rats en mort-vivante mal recousue.
Ce sous-sol, décidément, où personne de sensé ne voudrait aller, est pourtant l'endroit où il faudra bien se rendre pour trouver réponse à la frénésie cauchemardesque qui frappe l'hôtel. Les investigateurs qui ont joué à la table se sont lancés armés de fusils de chasse à l'éléphant pour affronter des hommes rats et des goules, mais seront repoussés par un sorcier contrit d'être interrompu et qui n'aura fait usage - fort heureusement - que de son outillage rudimentaire pour les faire fuir.
Petit florilège de mots exprimés par ma table de joueurs après les sept séances qui ont conclu ce scénario :
Un scénario qui m'aura beaucoup intimidé au départ, mais qui a finalement été d'une fluidité surprenante, grâce à la structure originale et aux nombreux outils fournis, mais qui pourra néanmoins laisser des joueurs sur leur faim, surtout si leur personnage s'est déjà construit au travers d'autres scénarios.
Enfin l'agenda détaillé donne à la Farce Macabre un fort potentiel de rejouabilité, une table de joueurs pourra faire l'expérience d'évènements qu'une autre table n'aura pas. Une histoire à rejouer, à faire rejouer, mais que je ne saurais conseiller qu'avec des personnages nouveaux, aisément "remplaçables".