29 Décembre 2020
Je suis une légende est un titre sorti en grande pompe au cinéma avec Will Smith en tête d'affiche, or le livre, paru en 1954 et écrit par Richard Matheson, n'a pas grand chose à voir avec ce film de zombies nocturnes que je n'ai pas autant apprécié que l'ouvrage dont il s'inspire et qui compte parmi les grands classiques de la littérature de science fiction.
Robert Neville vit seul dans sa maison à Los Angeles, cité laissée à l'abandon après qu'un étrange virus ait transformé la majorité de l'humanité en des êtres buveurs de sang et se cachant des rayons du soleil. Neville les appelle les "Vampires".
Ayant perdu toute sa famille, ceux ci ayant succombé ou ayant changé sous les effets du virus, Neville poursuit une existence dont le fondement s'est construit sur un instinct de survie exacerbé pour préserver un semblant de "normalité": il suit des horaires précis, s'occupe de son jardin, vérifie la solidité de ses protections, traque les vampires le jour pour les tuer comme investi d'une mission sanitaire. Un quotidien qui le plonge dans un silence criant le jour, et une cacophonie nocturne provenant de ses "nouveaux" voisins transformés cherchant à se repaître de sang, qui hurlent leur frustration de ne pouvoir pénétrer dans sa maison recouverte de gousses d'ail.
Un quotidien qui se répète pour un Robert dont la fragile digue de son équilibre mental rompt violemment à chacun de ces moments où la réalité le rattrape pour lui remémorer l'absurdité de son existence. Quand le souvenir du passé se rappelle à lui dans ses errements aidés par l'alcool, on ressent le désespoir de Robert qui réalise - et non pour la première fois - qu'il n'y a plus de raison d'espérer, plus de raison de vivre dans un monde où il est désormais seul.
Et pourtant, Robert s'attache à donner un sens au souffle de vie qui lui reste en nourrissant un espoir qui nous semble insensé mais que nous voulons partager avec lui. Peut être y a t-il des survivants comme lui quelque part, des hommes non contaminés se sont peut être organisés ? Quelque part il doit y avoir de l'espoir.
Lors d'une crise où le souvenir douloureux des êtres chers se manifeste dans un tourbillon de rage et de pleurs qui le pousse progressivement à la résignation finale, Robert aperçoit, entend un chien qui rôde dans la journée près de sa maison.
C'est alors l'excitation, une preuve que tous n'ont pas été contaminés, car le chien lui peut se promener au soleil, il est donc sain. Robert se plie en quatre pour l'apprivoiser, lui laisse à manger, les jours qui suivront se remplissent de rêves éveillés où il caresse la tête et le corps du chien, comme dans le bon vieux temps. Mais au delà c'est le syndrome de cette solitude qui pousse un homme à vouloir tenter le tout au péril de sa vie pour retrouver ce contact, ce lien affectif avec un autre, un animal de compagnie. Le chien devient une nouvelle raison d'espérer, de se donner plus de temps pour vivre.
Et puis, l'espoir s'effondre comme dans un mauvais rêve, du jour au lendemain, le chien ne reparaît plus, Robert est renvoyé à la réalité de son quotidien; et Neville se retrouve au point qu'il n'a jamais vraiment quitté, ses errements n'étaient que circonvolutions infructueuses.
Ce livre traite de la solitude d'un homme qui sait intimement qu'il est le dernier, et dont l'espoir de rompre sa solitude a maintenu en vie durant plusieurs années après l'épidémie. J'ai personnellement été très touché par ce récit dont l'adaptation avec Will Smith ne rend décidément pas justice. Robert Neville est un homme que l'on aurait qualifié de normal dans notre société et qui se retrouve être le dernier de nous tous, pendant qu'au dehors, sous couvert de la nuit, vit une abomination d'humanité qui devient la nouvelle espèce majoritaire. Et son ressenti devient le nôtre, son espoir renaissant et se manifestant comme un feu d'artifice devient notre espoir, de même que sa tristesse.
Beaucoup ont mentionné ici un certain darwinisme que Richard Matheson a voulu mettre en avant, et on est tenté de faire l'analogie avec la cohabitation entre l'homme de Néandertal et l'Homo Sapiens qui conduisit inexorablement à l'extinction du premier.
L'Homo Sapiens que nous sommes définit ce qu'est la normalité, mais si du jour au lendemain cette normalité devenait celle de la minorité, comment réagirions nous ? Et dans cet ouvrage court et très fluide à lire, Richard Matheson nous donne une vision d'anticipation de ce que le dernier des nôtres vivrait et penserait dans une situation analogue.
Une histoire poignante au final magnifique qui donne au titre tout son sens.
Dans le jeu de rôle, j'ai beaucoup construit sur la psychologie de Robert Neville des personnages qui vivent dans un environnement post apocalyptique où le danger, la privation et la solitude sont des menaces permanentes sur la vie et la santé mentale de ceux qui y subsistent. On a avec cet ouvrage une référence qui pourra substantiellement enrichir un récit dans des fictions comme celles de Mutant Année Zéro.