12 Mars 2021
La section "A propos" vous l'aura bien résumée, je suis venu vivre au Japon en 2003, puis un évènement fortuit et heureux me fait rencontrer ma femme, japonaise, et au jour d'aujourd'hui, 3 enfants et un enracinement désormais irréversible.
Tout parent d'enfant bi ou multinational est confronté au problème du bilinguisme que beaucoup (souvent les non-concernés) assument "innés" pour de tels enfants. La logique réductrice que l'on nous rabâche étant: l'enfant a un parent français et un parent japonais, il/elle sera donc bilingue. Ainsi soit-il, voilà y'a qu'à!
Et ce que beaucoup oublient c'est que l'apprentissage de deux langues à la fois demande du travail et nécessite d'abord un temps d'écoute équivalent pour les deux langues. Un enfant en bas âge avant d'entrer en école maternelle pourra bénéficier de la double oreille, passant un temps à peu prés équitable entre le japonais et le français. A ce stade, la période de mémorisation est importante car elle définit les fondations de la connaissance dans la langue de l'enfant.
Seulement, lorsque l'enfant entre à l'école et qu'il baigne à 90% de son temps dans le japonais (papa fait 3h00 de train pour aller et revenir de son travail, rentre tard et ne voit ses enfants qu'à l'heure du coucher en semaine voire pas du tout et le weekend), le français est négligé dans son cerveau et les premiers signaux d'alarme apparaissent lorsque l'enfant ne vous répond plus qu'en japonais.
Pour éviter cette perte du français, le CNED ou les alternatives d'école française - quand elles existent et sont abordables aussi bien géographiquement que financièrement- sont les premières solutions envisagées. Cela demande de la part du parent français d'endosser le costume d'un professeur, un métier qui, si des professeurs me lisent seront d'accord avec le fait que ça ne s'improvise pas. Quels que soient les ouvrages que l'on emploiera et le temps qu'on y investit, ce n'est pas à la portée de tous.
J'ai dans un premier temps tenté l'expérience avec mes deux premiers enfants, via la méthode Boscher - ancienne, connue et somme toute bien faite - mais au travail de mémorisation déjà intense auquel l'école primaire japonaise les soumettait, y rajouter des leçons de français dans un cadre analogue à une salle de classe n'a malheureusement pas pris. Les raisons de cet échec sont entièrement à ma charge: je ne suis pas un professeur, je manque de pédagogie et surtout de passion à enseigner une langue de façon académique.
Parlant moi même 4 langues, la plupart apprises in situ et complétées par la lecture et le contact direct, il était évident pour moi que l'apprentissage du français devait se distinguer du format scolaire et se placer dans un contexte plus motivant, plus amusant.
Constatant que mon fils perdait son français - et il le perdait littéralement - un violent ultimatum de ma femme ("Fais quelque chose!!") m'obligea à me bouger pour trouver une solution. Et cette solution fut le jeu de rôle.
Je conduisis alors une première expérience - un scénario basique - avec un jeu de rôle fait maison gracieusement fourni par un ami, l'auteur Sherdan de Sheratan. Et à ma grande surprise, l'accroche fut immédiate, mais je me retrouvais avec un scénario que j'avais honteusement bâclé (ce n'était qu'un test..) désormais confronté à des lacunes et des incohérences énormes face au déferlement imaginatif de mes enfants.. Cette première séance nous fit tout de même passer deux heures de pur plaisir ensemble où nous ne communiquions exclusivement qu'en français - même bancal - car c'était la règle sans appel que je leur avais établi.
Après ce premier essai, j'avais leur attention, et leur désir d'exploiter ce filon plus sérieusement était désormais clair, j'entamais donc mes premières acquisitions.
Etant un parfait néophyte dans la sphère à l'époque je demandais conseil à Rôliste TV qui me renseigna très gentiment sur les possibilités et mon choix se porta sur la 5e édition de Donjons et Dragons, ouvrant une ère de séances ludiques hebdomadaires qui nourrit une passion grandissante chez mes enfants.
En 6 mois leur français s'améliora considérablement, mais à défaut de "véritable" progrès c'était d'abord une reconnexion forte avec les acquis du passé revenus à la vie grâce à la stimulation du jeu de rôle.
C'était en 2016, 5 ans ont passé et à ce jour, parti d'un guide du joueur et d'un manuel des monstres pour la 5e édition de Donjons et Dragons, j'en suis aujourd'hui à empiler sur deux étagères des jeux de rôles aux concepts différents (je vous réfère aux articles précédents), afin de pouvoir emmener mes enfants dans des environnements différents, jouer des rôles différents et stimuler un imaginaire toujours plus varié.
De 2016 à 2018, l'intégrale des jeux se fit seul avec mon fils, des campagnes entières furent terminées en solo: La malédiction de Stradh, Out of the Abyss et d'autres campagnes faites maison. Puis de 2018 à aujourd'hui vinrent s'ajouter aux rangs des jeunes rôlistes la petite soeur et les cousins de France aujourd'hui avec qui, et grâce aux plateforme digitales, la connexion avec la branche française de la famille s'est renforcée.
Chaque enfant étant unique, même cette approche ne garantit pas un succès pérenne, seul mon fils a poursuivi assidument le jeu de rôle et a gagné un vocabulaire beaucoup plus riche et une communication bien plus fluide, ma fille par intermittences, et ma cadette qui devra attendre encore 4 ans avant de pouvoir se lancer (mais qui est déjà bien mise en condition!).
Mais au delà de la progression dans le français, c'est également l'appétit de curiosité qui ont mené mes enfants à une lecture plus régulière et assidue. Mon fils détestait lire et le jeu de rôle fait aujourd'hui qu'il lit 6 livres par semaine (en japonais certes), des romans de fantasy, de mystère et d'aventures diverses et ce, un à deux ans après le début de son aventure rôliste, l'âge entrant également en compte mais les thèmes de lecture choisis ne trompent pas quant à leur source d'inspiration! Le rythme étant trop élevé désormais chacun d'eux dispose d'un kindle..
C'est aussi pour un parent l'occasion de mettre ses enfants dans des situations où l'on peut évaluer leur niveau de conscience du bien et du mal, leur apprendre la richesse de la différence face au danger de la juger, les exposer à des situations où ils sont témoins de la souffrance et de l'injustice et où ils peuvent agir en conséquence. Un moyen enfin d'apprendre au sein de la fiction, le meneur de jeu régissant les règles universelles du monde qu'il a créé, que faire le bien conduit au bien et le mal, au mal.
L'apprentissage de la langue via le ludique, via le jeu de rôle qui, au vu des progrès réalisés jusqu'à aujourd'hui me donnent suffisamment d'assurance aujourd'hui pour le plébisciter sans retenue en toute occasion.
D'abord accueilli avec circonspection, le jeu de rôle est devenu progressivement dans la famille et au delà des frontières (en France, au Canada, en Espagne) un rituel où désormais nous nous retrouvons pour passer un bon moment -encore plus particulièrement avec cette pandémie qui a accéléré la digitalisation du jeu de rôle-, pour vivre une histoire, des aventures dont le souvenir se rappelle encore à nous, et les rôlistes y trouveront dans ces mots un écho familier.
S'il fallait chiffrer mon expérience rôliste avec mes enfants, en voici les plus retentissants:
C'est une expérience que j'encouragerai, pas nécessairement pour l'aspect linguistique seul, comme vous avez pu le voir, les bénéfices ne se cantonnent pas au langage, mais également pour la créativité, la curiosité, l'ouverture des portes de l'imaginaire de votre enfant.
Il est enfin je pense de bon ton de terminer ce billet par un grand merci à tous ceux et toutes celles qui ont contribué et contribuent encore à la démocratisation du jeu de rôle: artistes, écrivains, scénaristes, traducteurs/traductrices, maisons d'éditions, associations et tous les passionnés qui aiment en parler et le partager, sans qui honnêtement, je n'aurais jamais poussé le jeu de rôle aussi loin, et ce pour le bénéfice certain de mes enfants.