18 Décembre 2020
"Un vaste archipel où règne un Empereur Immortel. Un vaste archipel balayé par le souffle des kami, où la poésie de la vie se reconnaît dans chaque chose et où l'acier ne fait qu'un avec l'honneur. Un vaste archipel où le guerrier est poète et où le poète devient guerrier".
C'est sur ces mots que nous accueillent les premières pages d'un ouvrage longtemps attendu. Financé en 2018, la première impression du livre est arrivée en 2020 et, très franchement, l'attente en valait la chandelle.
Le livre est au format paysage d'environ 300 pages, à la couverture simple, blanche immaculée et parsemée de quelques pétales de fleurs de cerisiers rose - un symbole fort du Japon, j'ajouterais même que la simplicité fait également très nippon.
L'intérieur du livre quant à lui, est littéralement à tomber.
L'auteur, Olivier Sanfilippo, cartographe de profession, a intégralement illustré l'ouvrage et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il y a mis beaucoup de coeur.
Des croquis à l'encre noire aux véritables aquarelles en camaïeu de vert et de rose, c'est avec un soin religieux que l'on tourne les pages à mesure de la découverte de l'ouvrage.
La poésie suggérée dès l’introduction est insufflée dans chaque page, d'abord par les mots mis en forme par une belle et limpide écriture, et les images qui conspirent à faire nôtre ce monde qui ne demande qu'à exister au travers de notre future narration.
Détails à profusion y sont fournis, et dont beaucoup sont très fortement apparentés à ce que fut la réalité d'un Japon médiéval: sans besoin d'être grand connaisseur, de nombreuses oeuvres littéraires et cinématographiques ont fait le terrain à la notoriété des samurais et les codes qui les régissent: le bushido, mais au delà, c'est la vie sous toutes ses coutures dans l'Empire qui est mis en avant ainsi que la structure de sa société: de la lignée impériale au miséreux, nous apprenant énormément de choses sur des thèmes moins connus.
C'est aussi un monde baigné de magie et de folklore, où les mondes des esprits et des mortels cohabitent, où les paysans sont victimes des farces malveillantes des esprits-renards, où les nobles sont infiltrés par des esprit-chats sensuels, mais aussi où, dans des recoins plus sombre, des esprits malveillants répandent la corruption. Des concepts qui ne sont pas inconnus ici au Japon et parmi mes enfants, et c'est un double plaisir de leur faire jouer un jeu de rôle avec des éléments qui font déjà partie de leur bagage culturel appris à l'école.
Des ballades cartographiques s'étendent sur une centaine de pages avec moult détails qui sont d'autant plus d'accroches pour des scénarios de toute échelle, à ce titre le setting fourni sur le monde et la composition de ses régions est sans doute le plus riche que je possède de tous mes ouvrages en bibliothèque. Plein les yeux vous dis-je, on en prend plein les yeux!
Sur le plan du jeu maintenant, l'Empire des Cerisiers se destine à faire incarner des personnages hauts en couleur, des héros qui se distinguent du commun des mortels et ce quels que soient les traits ou les caractéristiques qui seront choisies.
Sans entrer dans trop de détails, l'Empire des Cerisiers fournit une liberté complète sur la création d'un personnage, également sur tout ce qui a trait à son caractère et son savoir faire. Il est fourni une méthode très abordable qui aide à la construction d'un personnage unique avec une panoplie de particularités, et dans le cadre de limites qui permettent d'atteindre un bon équilibre dans le jeu.
Un personnage se définit par un ou plusieurs "Champs". Un champ définit la profession ou la position de celui ci, par exemple: samurai, noble, peintre, danseuse, marchand sont des champs.
Chaque champ est doté de spécialités qui peaufinent les points forts de ce champ. Par exemple: un marchand pourra avoir la spécialité Négociation, Expertise, Comptable, et ce pour en faire un usage spécifique lors d'évènements qui requièrent un jet de dé, et ainsi améliorer ses chances de réussite.
Je n'aborderais pas le système mais j'en dirais qu'il est simple et intuitif, se contente de deux dés à six faces, mais surtout c'est un système qui encourage la narration partagée. Les vétérans le savent bien, les novices pas toujours mais l'exercice du jeu de rôle n'est pas toujours de simplement lancer des dés pour savoir si l'on réussit ou non, c'est également une histoire que l'on raconte ensemble avec le maître de jeu.
Donner au joueur l'opportunité de raconter ce qu'il fait comme il le conçoit, le voit, en lieu et place de déterminer par un jet de dé si une action réussit, rajoute une dimension qui renforce le plaisir partagé du jeu, et pour les jeunes rôlistes, un excellent moyen de travailler les bourgeons d'un futur talent de conteur.
Le livre de base propose également un scénario d'introduction efficace et étonnamment intuitif à diriger, j'avoue avoir été intimidé avant de le faire jouer, pour me rendre compte de son extraordinaire fluidité après deux sessions. C'est également un excellent départ pour se faire une idée de ce qu'est le monde lorsque les mortels et les Yokai se rencontrent ainsi qu'une esquisse de tension commerciale pouvant très vite s'aggraver en crise politique.
En conclusion, ouvrage magnifique et inspirant, règles simples et finement conçues, liberté totale de jouer ce que l'on veut, un monde qui nous fournit des éléments pour plusieurs années de jeu...il y a encore tellement de choses à dire mais à ce stade cela deviendrait de la paraphrase du livre et on sortirait du cadre de l'objectif de ce billet.
Depuis quelques années beaucoup de jeu de rôles sont publiés, et l'Empire des Cerisiers est l'un de ceux nés de cette période, qui nous apporte du nouveau, de l'esthétique - surtout de l'esthétique -, et une source de renouveau pour notre imagination vorace.
Une belle réussite (j'ai déjà parlé des illustrations je crois?) qui d'après l'auteur va continuer à s'enrichir.
Disponible chez Arkhane Asylum Publishing.