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Senior Rôliste

Blog sur le JDR, la littérature fantastique, des portraits de rôlistes, par un rôliste français vivant au Japon

Portrait de Rôliste - l'Alchimiste

Une jeune fille tourne les pages d’un livre dont vous êtes l’héroïne: elle incarne Fantômette, une justicière masquée, portant une cape de soie rouge   et noire et se lance à la chasse aux bandits, aux trafiquants et aux assassins.

« J’ai joué à ce livre peu connu qui a permis aux filles de se mettre aux livres dont vous êtes le héros, car à l’époque ces livres étaient très connotés masculins. C’est vraiment ce livre qui m'a permis de m'y mettre: Fantômette c’est une jeune fille qui est justicière la nuit, et dont l’auteur Georges Chaulet a fait un livre appelé C’est toi Fantômette. »

D’un premier effleurement avec le jeu de rôle par le biais de ce livre, Nadia (plus connue sous le pseudonyme de Sylphelle dans la communauté rôliste) commencera véritablement son entrée en la matière à 17 ans avec la découverte de Magic.

« J’ai commencé à en faire des parties effrénées. C’est un jeu de deck très connu empreint du fantastique et du médiéval. Chaque créature a des capacités spéciales et j’ai toujours aimé dans Magic prendre les peuples un peu caractéristiques: je prenais des decks qui regroupaient les créatures du même type, ça a été mon premier vrai contact avec le jeu de rôle ».

Mais l’expérience de son premier vrai jeu de rôle sur table se fera parmi un groupe d’amis avec le notoire Warhammer.

« A l’époque je sortais avec un garçon qui commençait le jeu de rôle et qui s’était décidé à essayer d’en maîtriser des parties. Très honnêtement ce n’est pas ça qui m’a fait continuer, c’était affreux. Chaque fois qu’on lui posait des questions, le pauvre cherchait pendant 30 minutes dans le livre de règle la réponse. C’était d’une longueur ! »

Mais dans le contexte des années 1990-2000, « il était débutant et il n’y avait pas d’exemple à l’époque comme on peut en avoir maintenant avec les podcasts, les actual play etc. »

Vieux dicton breton qui dit que la première crêpe est toujours ratée, cette première expérience peu engageante ne lui enlèvera cependant pas le goût pour ce loisir avec lequel elle reprend contact à 26 ans.

Finissant son cursus universitaire, diplômée ingénieure en génie industriel de l’environnement, et biologiste écologue, Nadia décide de s’orienter vers le domaine de l’éducation populaire où elle commencera à utiliser le jeu de rôle comme outil pédagogique de façon intermittente.

« Je faisais partie d’une association de culture scientifique composée d’une communauté geek qui m’a remis le pied à l’étrier. C’était beaucoup plus fluide, les MJ étaient plus expérimentés et la pratique a repris tout doucement sans être intensive. C’est à ce moment que j’y ai repris goût ».

D’une pratique dilettante, à ses premiers usages à des fins pédagogiques, le jeu de rôle, d’abord un outil d’appoint, prend une place plus importante dans la vie de Nadia quelques années plus tard.

A 32 ans, elle intègre un groupe de joueurs dans la région de Valenciennes et y fait la rencontre d’un maître de jeu, Virgile (il écrit et participe à la petite capsule de café sur Le café nonobstant  (nonobstant.cafe)), qui la fait jouer à Monsterhearts (motorisé par le système Apocalypse ou PBTA). C’est le déclic.

« C’est ce qui a vraiment déclenché la passion du jeu de rôle. Le système PBTA est aménagé pour laisser une part à la narration très importante. Les jets de dés te donnent des réussites partielles avec un obstacle qui pousse le joueur à co-narrer l’adversité à laquelle le jet les confronte. C’est un système qui pousse beaucoup à l’imagination, à l’interaction avec le MJ. Ca va plus loin qu’un système d’échec ou de réussite avec un jet de dés ».

Là où il favorise la narration, le jeu de rôle lui ouvre la porte de son prolongement naturel: le théâtre d’improvisation. « Cela me plaisait mais je n’osais pas me lancer, je regardais beaucoup sans pratiquer. »

Et c’est enfin la découverte du jeu de rôle GN (Grandeur Nature) qui lui fera sauter le pas.

« A mon retour du Japon (où elle exerçait en qualité de cuisinière) je suis partie en colocation dans une maison où tous les locataires faisaient du GN. La maison servait de lieu de stockage pour des costumes. Cela a été mon premier contact avec les costumes de GN et les armes en mousse ».

Le GN achève de réconcilier en elle ce besoin d’invention, de narration, de partage, et l’attrait du théâtre pour désormais s’y adonner pleinement. Avec ses camarades, elle fondera une association dédiée à sa pratique dans sa version essentiellement nordiste, où l’émotionnel y tient une place importante dans le jeu : Les Enfants de Pandore.

Une période riche, intense qui débutera en 2015 jusqu’aux premiers confinements du COVID (passés avec Melville (https://melville.itch.io/) qui a beaucoup influencé son amour pour les jeux de rôles alternatifs et lui a permis de rencontrer Matthieu Bé et la communauté de « c'est pas du jdr » (https://www.cestpasdujdr.fr/) , durant laquelle elle créé ses premiers jeux et outils que vous pourrez retrouver ici : https://sylphelle.itch.io/.

C’est aussi une période où le jeu de rôle devient le principe actif s’infusant dans un florilège d’activités.

« J’ai développé une spécialité avec le jeu de rôle qui est la cuisine médiévale. Il y en a très peu qui en font en France. Dans le cadre du milieu rôliste GN, je me suis faite inviter pour faire de la cuisine médiévale et notamment pour des conventions dédiées à l’époque, des GN et des rencontres de rôlistes. »

Fin 2020, elle entreprend avec un groupe de rôlistes, dont Guillaume Jentey (Conan, Sonia contre les ninjas : https://guillaumejentey.itch.io/ ), la création d’un calendrier de l’Avent à destination des restos du coeur, et dans lequel elle y écrit des recettes de cuisine pour le jeu de rôle pour des cadres divers.

« Il y avait des recettes médiévales, mais aussi des recettes pour les années 50, pour des ambiances variées. Je créais des recettes particulières pour des jeux de rôles afin de permettre aux rôlistes de manger un plat qui se mariait bien avec le jeu de rôle auquel ils jouaient, pour y apporter une graine d’immersion supplémentaire dans le jeu »

Une immersion rôliste qui s’invite à notre table, et, pour l’avoir testé nous mêmes, donne au contenu de nos assiettes un soupçon de curiosité supplémentaire, un plaisir de déguster renouvelé.

C’est également à la même période qu’elle décide de mettre en place Dragons et Grenadine (https://dragonsetgrenadine.wixsite.com/website ) destiné à proposer des séances de jeu de rôle en ligne avec des enfants, dans un cadre pédagogique.

« La pédagogie c’est ce qui me définit. Avec Dragons et Grenadine, j’applique cette pédagogie directement sur le terrain. J’ai deux clubs enfants tous les mardis: un de 8-10 ans et un autre de 11-13 ans avec lesquels nous avons joué à des jeux d’initiation très simples (Sodalitas de Jan Van Houten), puis des jeux plus farfelus et étranges comme Cozy Town de Rae Nedjadi,  Green Dawn Mall de Côme Martin, pour enfin commencer la campagne de Héros et Dragons. »

Des ateliers ludiques qui créent un environnement sûr, où l’enfant est amené à aborder de nombreux sujets et offre un cadre où il lui est permis d’en parler, d’apprendre en s’amusant.

Sophrologue officialisée, elle enrichit sa pratique d’un greffon thérapeutique.

« Je me suis dis que les gens ne devaient pas aller très bien pendant le confinement et j’ai pris connaissance du travail de Maria Mison, une autrice Philippine qui utilise le jeu de rôle pour sa propre thérapie. Après des recherches, j’ai créé un protocole de jeu de rôle thérapeutique que j’utilise sur mes patients et les résultats ont été encore mieux que ce que je pouvais espérer »

Mélange de jeu de rôle et d’hypnose thérapeutique, le protocole de Nadia consiste en une partie de jeu de rôle d'une heure à l’issue de laquelle une discussion et une analyse sont faites avec le joueur, suivie d’une autre analyse, cette fois sous hypnose. Un article détaillant sa pratique est disponible ici : https://d1000etd100.com/comment-jutilise-le-jeu-de-role-pour-accelerer-la-therapie-le-protocole-cohen-mison/

« Dans l’analyse faite avec un patient raisonnant et sous hypnose, on n’obtient pas les mêmes réponses. Et en deux heures on obtient beaucoup de matière. Je fais mes rapports que j’envoie au psychologue de la personne, et cela permet de débloquer des choses qui n’étaient pas conscientisées par la personne. On met à jour des comportements qu’elle a pendant le jeu de rôle de façon plus ou moins volontaire et qui entrent en résonance avec ses comportements de la vraie vie. Puis je l'aide à les analyser ».

De l’ingénieure et biologiste en environnement à l’éducatrice populaire, à la cuisinière médiévale, à la thérapeute, Nadia a trouvé dans le jeu de rôle l'outil lui permettant de bâtir une variété de compétences et d’expertise.

D’un fond timide, Nadia a trouvé avec le jeu de rôle un moyen de s’en défaire. « Le jeu de rôle m’a donné un terrain pour oser parler et oser m’exprimer, tenter des choses que je ne tentais pas dans la vraie vie. Cela m’a donné des compétences très importantes pour survivre. »

Et comme pour beaucoup, le jeu de rôle lui a été également un refuge .

« Le jeu de rôle m’a permis de garder « des points de santé mentale » quand ça n’allait pas. Le fait d’avoir l’occasion et le droit de s’évader par le jeu de rôle peut être salvateur. Cela offre des parenthèses de santé mentale absolument géniales. Cela s’est vu pendant le confinement: beaucoup de gens se sont mis au jeu de rôle »

Et avec les enfants, le jeu de rôle prend une dimension encore plus vaste « J’aime beaucoup les enfants en tant que « petites personnes »: ils ont encore un peu de cette innocence sur plein de choses, ils ont cet esprit curieux de tout, on a l’impression qu’avec eux tout est possible. Je trouve qu’un enfant est un rôliste né. L’enfant a une phase dans sa construction personnelle où il s’invente un monde où il joue à l’intérieur. Je suis fascinée par cette innocence et cette faculté de raconter n’importe quoi sans aucune barrière comme si c’était vrai et y jouer; si tous les adultes étaient comme eux, on vivrait des parties de jeu de rôle extraordinaires ».

Nadia Cohen

D’une passion véritable qui a pris son envol il y a 7 ans, Nadia nous fait découvrir un autre aspect du jeu de rôle qui apporte sa pierre à l’édifice du bien être de nos enfants. Un outil pédagogique et thérapeutique. Un média qui crée un environnement sûr pour l’enfant, où il peut apprendre à être plus en confiance avec lui même, à mettre en éveil des compétences qu’il dissimule, à s’épanouir enfin dans un cadre qui le lui permettra dans la vraie vie, et tout cela en s’amusant.

Ces dernières années, le jeu de rôle s’est immiscé dans de nombreux foyers. Jadis marginalisé, il s’est diffusé partout, est pratiqué par tous les âges, il opère une démocratisation qui le porte à un âge nouveau, où il croît sans limites, car l’imagination n’en a aucune.

Rêver, imaginer, est un besoin essentiel de l’enfant pour se construire, mais il est aussi un besoin vital de l’adulte, qui veut retrouver comme tout enfant innocent, cette rêverie, cette insouciance, ce domaine où tout est possible, là ou la vraie vie met ses limites.

Nous avons tous gardé en nous cette insouciance de l’enfance, plus ou moins mise en veilleuse par la dictée d’un « sens commun de se comporter en adulte dans une société ».  Et c’est elle qui nous autorise à nous en départir pour rêver, s’évader, et de le faire, grâce au jeu de rôle, avec les autres. C’est un loisir qui nous fait du bien, un loisir qui peut également apporter du baume au cœur, un loisir qui peut aider à guérir.

Telle une Alchimiste œuvrant sans relâche à la compréhension des choses, ce que Nadia fait depuis quelques années participe au grand œuvre qui vise à extraire du jeu de rôle sa substantifique moelle, celle qui révélera avec le temps les potentiels insoupçonnables de cette passion qui nous réunit autour d’une table.

Nadia, merci d’avoir pris le temps de cet échange, et pour tes travaux qui je n’en doute pas, contribueront encore beaucoup à la reconnaissance de notre beau loisir.

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