3 Mai 2023
Journal du Doc.
Premier Jour.
On ne pensait vraiment pas s’en sortir. Cela devait être la " der des der " bataille de cette putain de guerre. Et cela pouvait sembler être de la chance de pouvoir compter parmi les dernières victimes officielles de la guerre. De toutes façons tout le monde s’en fout, bien sûr. Il n’y a même pas eu d’enregistrement précis des pertes l’année dernière.
Si vous aviez encore quelqu’un en vie chez vous, il n’aurait eu aucun moyen de savoir que vous avez échappé à la mort non loin d’une ville en Pologne dont tout le monde se fout.
Le gros de l’action s’est passé en dehors de Kalisz. On ne voyait la ville qu’à portée de jumelles. Les soviets ont creusé un sillon profond dans la 5ème division comme un couteau chaud dans du beurre. La division était en haillons - la moitié des soldats à cheval, l’autre à pied. Les véhicules carburaient à l’alcool distillé. Les uniformes raccommodés, puis raccommodés encore, et la moitié d’entre eux provenaient d’autres unités, voire d’autres pays de l’OTAN. Une armée en haillons, bouffée par les mites et comblées avec la chair à canon encore capable de tenir sur deux jambes.
Les russes nous ont transpercés, divisés en deux, puis ont encerclé les deux éléments pour les massacrer. Les troupes endurcies ont craqué, ils se sont enfuis vers les bois et ont quitté le champ de bataille pronto.
Un colonel complètement sinoque a même essayé de mener une charge à cheval, cabrant son canassent sur ses pattes arrières comme le Ranger solitaire et criant que c’était le dernier combat de Custer. Ça parait idiot à dire mais ça m’a presque soulagé quand un mortier soviet lui est tombé sur la tronche, son .45 à manche de nacre blanc atterrissant à un mètre de moi avec la main encore attachée…
C’est le cheval qui a morflé le plus. Vraiment. Il n’arrêtait pas de hurler, à se raccrocher à la vie comme un furieux. J’ai pas regardé dans quel état il était, l’entendre m’a suffi. J’avais le nez dans la boue, le souffle m’avait fait l’effet d’un uppercut. Mon camarade à côté avait été proprement coupé en deux par l’explosion, les tripes déversées comme un poisson éventré. Il allait pas s’en sortir lui, c’était évident, je suis parti plein ouest. Merde, il appelait encore sa mère quand j’ai pris mes jambes à mon coup. J’espère qu’il est mort vite. J’aurais pu l’achever mais je ne sais pas pourquoi, je ne l’ai pas fait.
Les balles fusaient comme des vols de moustiques affamés sur la rivière, en éclatant comme ils le font lorsqu’ils s’approchent trop près de ces appareils électriques qui les grillent. Ça vous donne presque le mal du pays, mais comment on peut penser à ça au milieu de tout ce merdier? Probablement ta vie qui défile devant tes yeux.
La section de Tony s’est faite balayé après l’explosion d’un missile nucléaire tactique. Ça a été comme un gros flash de lumière, une chaleur à cuire et ses gars se sont mis à hurler en prenant feu, des putains de torches humaines. Il a eu du pot, trouver une baignoire en plomb dans la maison quasi ruinée, c’est ce qui lui a sauvé la mise, en tout cas pour l’instant. Je l’ai retrouvé quelques centaines de mètres plus loin, étalé dans son vomi mais toujours en vie. Ouais celui là il vivra je me suis dit.
On a été rejoint par Mirko, un boche massif effrayant avec son auto mitrailleuse. Ce type a la rage au ventre, il s’est pris une balle en plein ventre mais la plaque de céramique a absorbé le pire. Il a couru le plus vite possible quand tout a merdé et il m’a trouvé avec Tony qui n’en menait pas large. Heureusement qu’il nous a rejoint, on a pu avancer plus vite en portant Tony ensemble.
Le lieutenant Miller a été le dernier à nous trouver. Il était en état de choc, il nous a raconté la débandade, ses gars qui se sont mis à hurler et pleurer, courir en tout sens comme des lapins. Les gamins, les vétérans, tous égaux dans la terreur et la fuite.
Il a failli y rester dans la bousculade, à terre on lui a marché dessus, ce sont ses hommes qui l’ont ramassé et mis dans un Humvee. " Les traînards ont sauté à bord du mieux qu'ils pouvaient. L'un d'eux n'a pas réussi à s'accrocher et est tombé. Dans le rétroviseur, j’ai vu un cheval qui l'a piétiné. " Et puis il nous a raconté ce message radio. Quelqu'un à l'autre bout criait que le QG était envahi. Ah ouais? bienvenue au club. Puis ce message final qui est resté suspendu dans le véhicule, comme la pire des nouvelles dans une salle d'attente d'hôpital : "Bonne chance. Vous êtes livrés à vous mêmes. ". Puis une mine..à tous les coups c’était une des nôtres.
On a avancé tous les quatre du mieux qu’on pouvait. Des corps partout, de la fumée, de la brume ? On entendait des bruits d’explosion, de tirs, plus on s’en éloignait mieux c’était. Miller a repris du poil de la bête pour nous donner des ordres, hiérarchiquement c’était lui le plus haut gradé.
Puis on a entendu des coups de feu qui se rapprochaient, des russes, un paquet d’entre eux dans un véhicule blindé. Miller nous a dit de nous éloigner de la route et de nous cacher dans les fourrés. C’était mieux de les laisser passer, ils étaient plus d’une vingtaine à chercher des survivants pour les achever.
Soudain un tir de roquette derrière moi, cet espèce de malade de Mirko a tiré sur le véhicule de son propre chef. Il a fait mouche et mis au tapis 5 russes. Miller m’a regardé hébété, Tony a épaulé son fusil et abattu un officier russe qui s’est effondré aussitôt. Les soldats se sont disperser et ont commencé à riposter.
L’automitrailleuse de Mirko a craché son feu d’enfer, il a arrosé les russes qui se sont mis à terre. Mirko hurlait et riait en même temps, un véritable cinglé mais les balles lui sont passées à côté tandis que Tony s’est fait arracher l’oreille par un tir.
J’ai tiré à mon tour avec mon pistolet sans faire mouche mais sans doute ai je foutu la trouille à ces gamins, j’en ai entendu un qui a paniqué et qui appelait sa mère…
Je me suis pris une balle dans la tête, je n’ai rien senti sur le coup juste un trou noir où j’ai lâché prise quelques instants. La balle m’a éraflé le crâne, encore un miracle. Mirko a enrayé son auto mitrailleuse et les russes n’ont toujours pas été foutus de le toucher, il hurlait des injures en allemand qui devaient être aussi effrayants que ses tirs.
L’escouade a pris la fuite, laissant un traînard d’à peine 18 ans qui suppliait de ne pas le tuer. Tant bien que mal je l’ai un peu soigné avant qu’il se fasse interroger. On n’a pas laissé Mirko le faire, il voulait déjà lui faire la peau sans aucune forme de procès. Miller a tiré ce qu’il a pu du soviet, on l’a ligoté, les yeux bandés et laissé repartir vers le Nord, a priori où ses autres camarades ont fui. J’espérais qu’on le regretterait pas…
Nous avons rejoint Ztoczew, en ruines où nous nous sommes un peu reposés avant de prendre la route. Miller a proposé qu’on aille plus au sud vers Praska. Mais d’abord nous avons dormi, un sommeil qui nous a pris très vite, bercé par l’écho des tirs d’artillerie et des grondements de leur explosion.