17 Septembre 2023
Episode précédent: Nul n'est en sécurité
Un traffic d’eau en provenance de Tibur, initié par Protéro, remplissait allègrement les poches du représentant de la Maison sur Arrakis. Khadras, en échange de fûts d’eau, se faisait payer en chargement de mélange d’épices qu’il revendait à la guilde pour un juteux bénéfice. La Maison Tiburonia, prise dans la tourmente des nouvelles règles arbitraires édictées par la Maison Harkonnen, a perdu une quantité colossale d’épices qui aurait pu lui éviter ces tourments. Khadras doit tomber.
Tiepy Laudas, le médecin attitré à la jeune héritière, propose à Dante de faire remplacer Khadras par un « autre » Khadras plus concilient et à la loyauté sûre. Pendant ce temps, Tauma monte une opération pour s’emparer des entrepôts où Khadras menait son trafic illicite, celle ci se passe sans coup férir avec une résistance moindre des mercenaires engagés pour leur surveillance. Il ne restait pour ainsi dire plus rien de Protéro et de ses métastases dans la maison Tiburonia.
Quelques jours plus tard, le festival organisé en l’honneur de la Maison Harkonnen prend enfin place. Dans la grande salle du trône aménagée pour accueillir un banquet de 200 personnes, une scène centrale a été mise en place pour les danseurs.
Dante et Diane sont invités à siéger à la table d’honneur en compagnie d’un Czoka extatique de revoir la jeune héritière. Mais celle ci ayant reçu son traitement par Tiepy, c’est une Diane amorphe et aux yeux vitreux qui répond aux paroles de Czoka. Ce dernier, inquiet de son état de santé s’enquiert auprès de Dante pour s’assurer que la soirée se passera bien; car dans le cas contraire, la maison Harkonnen en serait fortement contrite. Ce auquel Dante rassure de mots biens choisis son hôte tout en lui garantissant de la parfaite maîtrise de sa soeur.
Varka, pendant ce temps, guette dans la salle le dispositif sécuritaire et identifie les potentielles menaces. Ayant conduit des recherches parallèles à celle du maître espion Tauma, Varka apprit qu’il était chuchoté dans certains secteurs de la ville que Diane pourrait être la « Lisan Al Gaib », prophète annoncé il y a très longtemps, et qui dit-on apporterait la liberté au peuple Fremen asservi par l’Empire et les maisons nobles. Mais cette considération est partagée entre ceux qui y croient et ceux qui pensent à une erreur, la diatribe se serait étendue dans nombre de sietchs.
Tauma, en coordination avec les danseurs une fois entrés en piste, déploie sa toile de cibles pour la récolte d’informations compromettantes parmi alliés, ennemis et inconnus.
Dante et Diane, à la table de Czoka, sont rejoints, non sans surprise, par les trois frères Grazzianni, avec un Frederico regardant crânement les jumeaux. « Vos voisins n’est ce pas ? J’ai pensé que vous apprécieriez leur compagnie » leur dit un Czoka malicieux, qui s’apprêtait à poursuivre dans cette même veine en titillant l’un et l’autre parti, lorsque survient un autre personnage, glabre et pâle, à la lèvre inférieure marquée d’un trait de sang noir, un Mentat à n’en point douter.
Czoka perd soudainement de sa superbe, et enchaîne promptement sur l’annonce de l’ouverture officielle du festival, bégayant un discours maladroit qui sert néanmoins de coup d’envoi.
La salle sombre dans l’obscurité. A certains endroits, des étincelles de lumière de toutes couleurs dessinent les traits d’une méduse gigantesque qui semble se mouvoir sur les murs de la salle. En vérité, elle nage sur les murs, le plafond, illumine d’une lumière blafarde les visages des invités intrigués. Une musique se fait entendre, la forme de la méduse se place au niveau de là ou se trouve, en principe, la scène. Elle s’immobilise un instant puis à l’image d’une éruption volcanique, elle se désagrège, et dans le prolongement des centaines de lucioles se dispersant, apparaissent des méduses entières de plus petites tailles flottant dans la pièce et diffusant une poudre fluorescente emplissant inexorablement la surface entière.
Les danseurs jaillissent, aussi soudainement qu’une multitude d’étoiles filantes, la silhouette de leur corps dessinée par des auras fluorescentes. En leur centre, Diane, lumineuse et resplendissante, commence la chorégraphie sous les coups de semonces vibrant de la musique devenue plus forte.
Le public, progressivement enivré de la poudre des méduses, commence à se défaire de toute inhibition. Pour certains c’est la langue qui se délie, pour d’autres, c’est l’abandon aux instincts primaires, une aubaine pour interroger, apprendre quantité d’informations compromettantes à mettre sur le marché. Comme un seul corps, les agents s’infiltrent parmi les invités, dansent, enivrent et extraient l’information sous la chorégraphie secrète de Tauma dont le repérage préliminaire a indiqué aux danseurs les meilleures cibles.
Quelques minutes après le début du spectacle, Glossu Rabban, « Le Boucher » rejoint la salle escorté d’un peloton de soldats lourdement armés. La fête met sur son visage rond un sourire carnassier. Il est venu lui aussi s’amuser. Après des salutations protocolaires avec Dante, ce dernier accompagne le gouverneur pour lui vanter les vertus émoustillantes des danseuses de Tibur. Rabban, déjà enivré par la poudre des méduses, sombre dans un état de désinhibition totale et une faim bestiale le fait exiger en aboyant les meilleures danseuses que le marquis a à offrir.
Ce dernier, ayant prévu - car les pulsions du gouverneur sont connues dans toute la galaxie - cette tournure d’évènements, fait appeler deux danseuses spécifiquement formées pour assouvir les désirs de gens comme Rabban, maîtrisant avec perfection les jeux subtils qui font monter le désir sans en dépasser les frontières de l’incontrôlable.
Néanmoins, Rabban est une expérience unique jamais tentée jusqu’à aujourd’hui...
Prenant possession des deux danseuses, la chorégraphie de charme opère très vite et relâche sans prévenir les instincts hurlants du boucher qui se jette sur elle et donne son office bestiale au vu et au su de tous les invités, mais la vue est vite comblée par un mur de soldats Harkonnen servant de toile bien mal insonorisée pour ce spectacle de débauche.
L’enivrement met à mal également les défenses protocolaires du jeune Frederico Grazziani qui attaque verbalement avec virulence Dante et sa maison, suivi d’une logorrhée d’une rare véhémence, Frederico commet l’imprudence de provoquer en duel Dante jusqu’au premier sang pour faire valoir le poids de ses mots. Mais le mentat, témoin de la scène et ayant sciemment laissé la tension s’aggraver, change le tir de trajectoire et exige que le duel soit à mort et devant le gouverneur, « cela fera réparation pour tout le tapage que vous avez provoqué à ma table Frederico ». Estomaqué, Frederico prend congé avec ses frères, outrés par l’attitude de leur aîné qui vient de comprendre trop tard l’erreur colossale qu’il vient de commettre.
Hajad, ayant scruté les lieux pour trouver des contacts connus, trouve une soeur du bene gesseritt servant de consort auprès d’une autre maison noble. Le courrier secret reçu par la révérende mère a maintenu le trouble dans son esprit. « Des informations troublantes nous parviennent à propos de l’héritière Tiburonia que nous nous employons à confirmer, par mesure de sécurité et dans l’éventualité où la situation l’exige, mettez l’héritière sous la protection du Bene Gesseritt au refuge où vous y recevrez vos instructions ». Les bruits de la possible arrivée du Lisan Al Gaib ont atteint les oreilles de la Révérende Mère apparemment, et les conséquences pour Diane, bien qu’encore difficiles à prévoir, pourraient tout de même s’annoncer dangereusement fatales. S’assurant de la solidité de ses appuis, Hajad obtient satisfaction auprès de sa soeur.
Son regard est ensuite attiré par la pose statique et soudaine de Diane sur scène: elle ne danse plus et ses yeux sont révulsés, déjà le tumulte se fait sentir dans la chorégraphie qui amorce un pas de repli pour s’agencer en carrousel tournoyant autour de la jeune marquise, afin de dissimuler son possible malaise…
Le désert semble sans fin. Cette fois plus de montagnes de cadavres ou de champs de batailles. Au creux de deux structures rocheuses, se tient assis un homme torse nu, vêtu d’un pantalon de toile pour seul vêtement, insensible à la chaleur qui pourtant dessécherait un homme dans sa condition en quelques minutes. Diane se tient dans le sable à quelques mètres de lui. L’homme remarque sa présence, non, il la sent plutôt. D’un simple mouvement de tête sur le côté, l’homme, dont la voix paraît celle d’une jeune, l’accueille par ces mots « Un écho du passé ». Se levant enfin, il se dirige vers Diane. Son corps, pourtant bien qu’humain, semble recouvert inégalement de sortes d’écailles, comme des plaques de lèpre apparaissant çà et là sans véritable agencement logique. Il sourit à Diane, son visage n’est pas celui d’un Fremen mais il en a les yeux de turquoise brillant. « Si tu es là c’est pour une raison bien précise, mais je ne parviens pas à discerner qui tu es, il n’y a de toi aucune trace dans ce futur ». Quelques instants passent où Diane tente de se présenter, de justifier qui elle est. L’air du jeune homme se fait plus grave « Tu es une création factice, un artifice, afin que l’on fasse de toi ce que tu n’es pas en vérité». Face au doute de Diane, le jeune homme s’approche encore et de ses doigts lui touche le front « Vois la vérité, souviens toi! ».
Une cuve de verre remplie d'un liquide visqueux et troublant la vue. Une trappe s’ouvre sur deux visages que l’on aperçoit mal. Un voile noir. « celle ci est en bonne condition » dit une voix, « cette version est prometteuse, poursuivez les expériences » y répond une autre. Entre plusieurs sommeils, Diane ouvre ses yeux sur une table d’opération. Elle y est attachée. Au dessus d’elle deux visages sont penchés à la scruter. Deux visages chauve aux yeux métalliques, des visages peu familiers sinon un. Elle tourne son visage, péniblement - l’envie de dormir la reprend de plus belle - elle y voit un enfant d’une dizaine d’années, elle reconnaît Dante. Celui ci est sur une table aussi, ceinturé, et, combe de l’horreur, le corps ouvert de toute part, perfusé de tuyaux et mis sous assistance vitale, écorché, ouvert de toutes parts et vivant, et dormant d’un paisible sommeil. Les pas d’une troisième personne qui se rapproche. « Cette version est parfaite, activez celui ci et l’autre, leur version génétique est très satisfaisante…Reste à savoir lequel des deux va se révéler le plus prometteur pour notre projet. » Cette voix, Diane la connait, cette voix, c’est celle du docteur qui lui administre son traitement quotidien. Cette voix, c’est celle de Tiepy Laudas…
Diane est à nouveau dans le désert, face au jeune homme qui lui sourit. « Tu connais la vérité sur ton passé maintenant. Même si ton corps n’a pas été façonné selon les règles de la nature et qu’il ne t’appartient pas, il te reste ta conscience et ton libre arbitre. Ton histoire n’est pas encore écrite, c’est à toi de décider si tu souhaites participer à la grande marche du monde, ou finir plus vite dans l’oubli. »
Après la transe, Diane se retrouve au milieu du carrousel de ses danseurs qui, tout en maintenant une cohésion parfaite, lui adressent des signes pour s’assurer que tout va bien. Diane reprend la danse, brisant le carrousel pour revenir à la chorégraphie originale avec cependant un final plus vite amorcé.
Les danseurs et danseuses poursuivent parmi les convives tandis que Diane, encore hébétée de sa vision, rejoint son frère et tente d’obtenir un départ plus rapide. Dante, courtisant le Mentat afin de rapprocher les deux maisons, constate l’urgence et la détresse de sa soeur, mais c’est le Mentat qui leur emboite le pas en ayant déduit par simple observation le désir de Diane. « Vous pouvez disposer, la fête a assez duré et j’en ai également soupé. Ramenez donc votre soeur saine et sauve, marquis. »
Accompagné de Hajad et Varka, Diane retourne à la villa où un Tiepy s’enquiert aussitôt de sa santé et lui demande si elle n’a pas eu d’effets secondaires ou si les phénomènes de vision se sont reproduits, ce à quoi Diane y répond vaguement que tout va bien, pour ensuite s’enfermer dans sa chambre en laissant au dit Tiepy l’instruction de lui envoyer son frère dès son arrivée.
Dante suit plus tard en compagnie de Tauma, et dont le mentat procède à la collecte des informations soustraites durant la fête pour un catalogage et fichage complet. La pêche a été bonne et quelques familles vulnérables pourraient bien être à la merci des Tiburonia si le besoin s’en faisait sentir.
Manquent à l’appel en revanche les deux danseuses restées apparemment avec Rabban qui les a emmenées dans sa chambre. « Qu’importe, nous attendrons leur retour » conclut Dante, davantage pressé de retrouver sa soeur auprès de laquelle il reçoit la vérité sur ses révélations durant sa transe.
Mais la soirée est interrompue par une irruption soudaine de soldats Harkonnen dans l’entrée de la propriété. Le Mentat, Pieter de Vries, tenant dans sa main une des danseuses par les cheveux et à genoux, exige la présence de Dante.
A son arrivée, c’est un Peter de Vries hostile qui accueille le jeune marquis « Vos deux agents ont été prises en flagrant délit d’extraction d’information de notre gouverneur. Je me doutais bien qu’il allait se passer quelque chose, mais quelle outrecuidance de la part de votre insignifiante maison de vous en être pris au gouverneur d’Arrakis ».
« C’est...ce que nous faisons seigneur de Vries, c'est notre fond de commerce » répond Dante, impassible.
« Donnez moi une bonne raison de ne pas vous tuer vous et tout votre personnel » réplique Pieter.
La lame prête à frapper, les soldats Harkonnen se positionnent, ils n’attendent qu’un seul mot pour bondir. Face à eux la Garde Docile se tient également en position, l’arme au poing, prêts à donner leur vie pour leur Seigneur.
« Nous pourrions vous faire profiter de ces services…et d’autres à titre gracieux, vous savez certainement que nous excellons dans beaucoup de domaines, bien plus que toutes les autres maisons… » propose Dante.
« Et pourtant nous voici, tenant votre échec patent de ma main droite » répond Pieter en serrant davantage son emprise sur la danseuse lui arrachant un couinement de douleur.
Son visage, tuméfié, et le sang ruisselant encore fraîchement indique un tabassage en règle, non une torture. Les Harkonnen l’avaient battue pour le plaisir.
« C’est un glissement...qui hélas, peut arriver au meilleur d'entre nous. Mais cela ne se reproduira plus » conclut Dante.
« Vous êtes au service de la maison Harkonnen et vous répondrez à tout ses bons plaisirs. Vous commencerez ce soir en vous occupant de la maison Grazziani. Il ne peut y avoir que cette maison ou la vôtre debout, vous avez jusqu’au lever du jour pour les éliminer et sans vous faire détecter ».
Avec une courte hésitation, Dante finit par faire un signe d’assentiment. Relâchant la danseuse, Pieter croit bon de signaler le sort de la deuxième « Elle est entre les mains de Rabban qui n’a pas fini de jouer avec elle, je ne saurais dire cependant si elle est encore en vie ». Puis faisant mine de partir, Pieter pivote soudainement pour rattraper la danseuse qu’il vient de relâcher, de sa main droite il extrait une longue lame dont il fait passer le tranchant d’une oreille à l’autre de la malheureuse victime dont le cri de surprise est coupé net.
S’étouffant dans son propre sang, la danseuse s’effondre dans un bruit de gargouillis sur le sol marbré de blanc, le maculant lentement d'une teinte vermeille coulant de sa gorge béante.
Avec, en sinistre avertissement, ces derniers mots de Pieter à l’adresse de toute la maison Tiburonia : « Nous n’aimons ni les traîtres ni les incompétents ».