Patient 13

AVERTISSEMENT SPOILER AUX JOUEURS ET JOUEUSES - Patient 13 ne vaut pas de lui consacrer un article sans spoiler un peu la teneur du jeu. En parler c'est déjà spoiler, vous êtes donc prévenus tout particulièrement si vous êtes joueurs et que vous n'avez jamais joué à ce jeu mais qu'il vous intéresse: en lisant cet article vous vous priverez de la magie de la première séance, et je ne saurais que trop vous le déconseiller.

Pour les futurs MJ de Patient 13, vous pouvez lire sans craintes!

Ils se sont tous réveillés tôt le matin dans une chambre sobre, aux murs dont la peinture, blanche et jaunie par le temps, s'écaille par endroits. La chambre dispose d'un lit, d'un bureau et d'une chaise en bois, une étagère vide qui porte les traces de livres jadis entreposés.

Deux personnes entrent abruptement dans la chambre, une femme, une infirmière semble t-il, accompagnée d'un autre homme, lui aussi en tenue d'infirmier, apportant un verre d'eau et un plateau de cachets. La femme vient de se réveiller, encore un peu groggy, se voit enfourner dans la bouche les cachets qu'elle avale bien malgré elle avec le verre d'eau. Elle est trop molle pour résister, dire ou faire quoi que ce soit. 

"Vous avez rendez vous avec le docteur pour votre visite hebdomadaire à 9h00 précises, soyez-y sans retard, cabinet numéro 5". La femme jette un oeil plus attentif à son interlocutrice, un frisson la parcourt, les yeux de l'infirmière et de son collègue semblent révulsés, ne révélant que le blanc des yeux. Le duo quitte la chambre.

Une timide lumière filtre au travers d'une fenêtre barrée d'une grille en fers, et au plafond, une lampe circulaire à néon bleu. La seule porte de la chambre est entr'ouverte, avec l'écho, provenant du sol de carrelage gris, de ce qui semble une procession. 

La femme, âgée d'une quarantaine d'année, se lève et hasarde un regard discret et craintif dans l'ouverture de la porte. Des gens de tous âges, vêtus de pyjamas blancs, tout comme elle, marchent, hagards, dans la même direction. 

Dans un long couloir aux multiples portes numérotées, elle aperçoit deux autres personnes, qui semblent aussi atterrés qu'elle. Un jeune homme de 18 ans, semble t-il, et une femme âgée, dans les 80 ans. Le couloir se vide progressivement. 

"Bonjour" dit la femme aux deux autres, auxquels les deux autres répondent par un "bonjour" un peu tremblant. 

"Vous êtes qui?". Le jeune homme, après quelque hésitation, répond "Ben moi c'est Louis". La femme âgée prend le relais "Euh et bien moi c'est Annie". 

"Enchantée Louis et Annie, moi c'est Faustine...enfin je crois... Qu'est ce que vous faites là?" 

Mais la question reste sans réponse. Ils n'ont pas la moindre idée de ce qu'ils font ici, ni le moindre souvenir de comment ils sont arrivés là. Tous, en revanche, ont reçu les mêmes directives de la part d'un personnel médical aux yeux révulsés et au comportement glacial: un rendez vous avec le médecin à 9h00 précises.

Les horloges au dessus de chaque porte ne permettent aucune feinte de l'ignorant, 9h00, c'est dans 43 minutes. Les 3 amnésiques se resserrent et se dirigent là où toute la procession des autres personnes en pyjama sont partis: une salle à manger, où une bouillie insipide est servie par d'autres infirmiers aux yeux révulsés. C'est infect "mais c'est mieux de tout manger vous savez" dit une vieille femme aux cheveux jaunes, le regard ravagé d'un excès de médication.

Louis s'assied à une table où un seul...pensionnaire ? malade ? est assis. Ce dernier, hostile, le dévisage et l'accueille en lui lançant son plateau et son contenu sur la figure, se jette sur lui pour le tabasser. D'autres pensionnaires interviennent pour les séparer. Louis commence sa première matinée le nez ensanglanté. 

Une télé fixée au mur de la cantine est allumée, mais ne diffuse que le bruit blanc d'un écran de neige. 9h00 approche, et celui du rendez vous médical.

Annie entre dans un cabinet où un petit homme aux lunettes rondes, enfoncé dans un fauteuil trop large, lui indique une chaise placée à 5 mètres de son bureau. Elle s'assied. Le docteur prend des notes en lui jetant de temps à autre un coup d'oeil. Le silence dure bien 5 minutes avant qu'Annie pose la question "Je peux savoir ce que je fais là, on m'a dit que vous étiez mon docteur mais de quoi est ce que je souffre ?"

Sourire sinistre dudit docteur."C'est précisément pour que vous vous en souveniez que nous avons ces séances. Commençons par le commencement voulez vous? Comment vous appelez vous ?

- Annie.

- Vous êtes sure ?

- Bien sûr c'est mon nom.

- Je vois, alors Annie, parlez moi de vous, que faisiez vous avant d'être ici ?

- Et bien j'étais secrétaire dans une grande entreprise d'automobile, j'ai deux enfants, trois petits enfants, mon mari est décédé il y a peu. Voilà c'est un peu susbtance ma vie très résumée, cela vous satisfait ?

- Pas vraiment non, vous racontez des bêtises...comme lors de la dernière séance.

- Parce qu'on s'est déjà vu ?

- Oui, la semaine dernière...Et au vu des éléments que je possède, vous ne vous appelez pas Annie, et rien de ce que vous m'avez dit n'est dans le dossier, j'en conclue donc, encore une fois, que vous affabulez complètement une fois de plus...Ce qui me démontre que le traitement actuel n'est pas adapté, il va falloir augmenter les doses.

- Bien sûr oui, c'est ce que vous dites docteur, mais je sais très bien qui je suis vous savez.

- Certes, certes, mais le problème est que vous ne vous en souvenez plus. Et c'est là tout l'objectif de ce traitement au sein de notre établissement, il faut que cela vienne de vous, nous ne pouvons pas vous remémorer qui et ce que vous êtes, cela vous ferait un choc trop grand à supporter je le crains..."

La séance se termine sur une nouvelle prescription de médicament, et un doute plus épais dans l'esprit d'Annie.

Louis, ressorti de sa séance sans savoir vraiment si Louis est son vrai nom, retourne dans sa chambre...qu'il découvre occupée par quelqu'un d'autre, le lit et le mobilier intégralement changés...

Patient 13 est cette autre petite merveille du génial Anthony Yno Combrexelle (Channel Fear), un jeu de rôle qui, vous l'aurez sans doute un peu perçu dans ce récit de partie, plonge les joueurs dans les profondeurs de la folie. En parler était déjà divulgâcher le concept, d'où le temps qu'il m'a fallu pour enfin me décider à en faire un retour. Mais ne pas en parler non plus est une injustice tant le jeu mérite qu'on parle de lui! Donc, pas le choix, je divulgâche...un peu!

Avec cette première partie maîtrisée il y a quelques mois, les promesses de Patient13 ont été tenues. Les personnages pensent être quelqu'un, mais tout dans l'établissement conspire à les faire douter, jusqu'aux joueurs eux-mêmes. Pas de fiches de personnage, des jets de dés sont faits par le maître de jeu qui sait tout d'eux sans qu'ils ne sachent rien d'eux mêmes. La construction des personnages se fait à mesure de leur comportement et de leur évolution, au début à leur insu, puis plus tard, une fois bien "éveillés", ils sauront qui ils sont devenus dans leur nouvel environnement. 

La grande force du jeu réside dans ce doute persistant qui perturbe les joueurs, l'être humain a en effet besoin de se créer des repères pour rester sain, pour définir sa démarche, son comportement et interagir de façon appropriée avec son environnement. Dans Patient 13, ces repères peuvent s'effondrer du jour au lendemain, tant la perception du réel est travestie par ce doute ou, au contraire, cette trop grande assurance qui donne l'illusion d'un contrôle sur son monde. Quand tout se brise, la construction d'une personne peut subir un reset traumatisant qui la plongera davantage dans une folie sans issue.

Encore une belle proposition d'Anthony Yno qui a fait tourner la tête à ma table (et non la table qui a tourné sur elle même!) de joueurs. Une excellente expérience unique dont la mise en place peut se faire rapidement, et que je recommande chaudement!

Disponible sur lulu via ce lien.