Yuigahama Bad Seeds

Au sud de Tokyo dans la baie de Sagami, se niche une petite ville côtière à la plage jadis prisée par les baigneurs et les surfeurs. Yuigahama, entre Enoshima et Zushi, était une destination de choix pour les vacanciers, une véritable station balnéaire à la fréquentation comparable à ses voisines plus grandes.

Seulement voilà, depuis la catastrophe environnementale baptisée la "marée pourpre", les surfeurs aux corps musclés, les filles en bikini, les paillottes encensant l'air de poulpe grillé, les planches à voiles, tout a disparu. Ou plutôt, plus personne n'est revenu, et plus personne ne reviendra.

Depuis la catastrophe, la ville est un cloaque isolé, évité et confiné de façon intermittentes. La crise écologique a laissé dans l'esprit des habitants un âpre souvenir. Les autorités, peu préparées à une catastrophe d'une telle ampleur, ont fait preuve d'un amateurisme et d'une maladresse affligeantes dans leur gestion. D'abord confinés pendant un temps, les habitants se sont pliés aux instructions des autorités jusqu'au nettoyage complet non seulement de la plage mais aussi de certaines zones de la ville où, dit on, une étrange substance refoulée par l'océan se serait immiscée dans des interstices menant plus loin que la seule plage. Quelques jours ou semaines plus tard, c'est un effondrement de terrain qui accentue davantage l'isolement de la ville en la privant de sa principale route d'accès. La communication insuffisante et malhabile des autorités jettent le doute sur la cause de cette catastrophe, ouvrant la voie aux plus folles théories conspirationnistes.

Mais le mal est fait, et la ville est se vide peu à peu de ses habitants les plus aisés, seuls restent ceux qui n'ont pas d'autre endroit où aller, et les anciens qui ne veulent pas partir. 

Si la vie semble reprendre un cours normal, c'est en l'absence de toute rumeur de foule et de baignades enjouées. Les habitants livrés à eux mêmes, dépendant d'approvisionnements épars, deviennent les témoins de phénomènes de plus en plus étranges. Hallucinations ou conséquences de l'isolement ? Le silence des rues nocturnes fait frissonner autant les personnes âgées que les jeunes voyous en bande. Une maladie de peau étrange se répand parmi la population, des "choses" semblent se mouvoir dans les nombreuses bâtisses abandonnées de la ville en décrépitude.

Dans une atmosphère où suinte le doute, Yuigahama Bad Seeds est un jeu de rôle de Frédéric Bessy nous situant dans un Japon contemporain dans la ville bien réelle de Yuigahama. Les joueurs sont invités à incarner des gens vivants dans la ville après le nettoyage de la catastrophe écologique, et faire face à des évènements qui pourront aussi bien relever du registre fantastique, horrible que dystopien, ou tout simplement criminel.

Une nature qui reste à déterminer, car le livre fournit une dizaines de scénarios servant de base à une intrigue qui laisse planer ce doute constant, sans en dévoiler trop et laissant au MJ toute latitude à y mettre sa patte pour expliquer l'étrangeté de la chose - ou pas!

C'est ici que Yuigahama brille par la grande malléabilité du monde qu'il offre: les scénarios sont présentés sous la forme d'abord de récits (très chers aux rôlistes japonais qui portent à l'écrit des "rapports de parties" pour ensuite les éditer en livre se lisant comme un roman), puis d'un découpage détaillé destiné à être employé et remodelé si besoin par le MJ. 

Un seul ouvrage constitue la gamme du jeu. Celui qui porte la plume et le pinceau sont la même personne et la grande cohérence de l'ouvrage entier s'en ressent au fil de sa lecture très agréable. Les illustrations sont magnifiques, saisissantes d'un réalisme concourant à nous immerger dans cette ville que l'on pressent silencieuse, vide, inquiétante. 

Le contexte, très richement détaillé dans l'ouvrage, nous offre une vision d'un Japon contemporain vrai, que les français du Japon enracinés comme nous connaissent.

Que cela soit dans les visuels époustouflants, les 60 PNJ fournis avec leur portrait et fiche personnelle, Yuigahama bad seeds illustre un Japon loin des clichés et des fantaisies inspirées des mangas ou autres produits phare de l'export. 

Un cadre enfin où pouvoir faire vivre les étrangetés que j'entends parfois de mon voisinage. Parfois des gens ont rapporté avoir vu le fantôme d'une femme aux cheveux longs à l'arrière de leur voiture alors qu'ils passaient très tard dans la nuit près de la plage de Chigasaki.

Certaines des nombreuses maisons abandonnées dont les propriétaires sont morts depuis longtemps qui s'éclairent furtivement par intermittence au milieu de la nuit, comme si le propriétaire défunt n'arrivait pas à trouver le sommeil dans sa chambre. Ces mystères de voisinage que les gens ne traitent pas froidement en cartésien mais en locaux qui croient aux fantômes le plus naturellement du monde, ont à mon sens toute leur place dans Yuigahama Bad Seeds.

Le système de Jeu:

Le jeu est motorisé par un système très abordable avec le standard dé de 6 et des jetons de destin dit "Unmei" pouvant modifier le résultat et dont les principes sont les suivants:

- Un 6 est une réussite automatique. Peut être transformé en réussite critique si le joueur peut le narrer adéquatement et donner un de ses jetons Unmei au MJ.

- Un 2,3,4,5 si après ajout des modificateurs et l'usage de jetons Unmei éventuels le total est supérieur à 4 ou plus, c'est une réussite.

- Un 1 est un échec, pouvant être pallier en forçant le destin via la dépense de jetons Unmei. Mais si le total est inférieur à 4, l'échec est acté.

Le jeton Unmei est un de ces outil que l'on voit dans beaucoup de jeu (Dune pour les points menaces et de momentum, le Loksyu et le Tin ji dans les Chroniques de l'Etrange) qui tend à rééquilibrer les pleins pouvoirs du MJ, une sorte de monnaie d'échange où, par exemple, lorsque le MJ met un joueur en difficulté, il lui donne un jeton Unmei pour rééquilibrer la balance lors de la prochaine action. 

Les combats sont simplifiés -et c'est fort bienvenue- et se limitent à trois actions essentielles: attaquer, se défendre ou battre en retraite. Les coups reçus sont de deux nature: les coups de poings et pieds engendreront des blessures légères, tandis que les armes comme couteaux, chaîne de vélo pouvant blesser génèrent des blessures graves, la récupération de ces blessures n'est pas régie par la même règle: une pause pour les gnons, un séjour à l'hôpital pour les blessures plus graves.

Les combats de bande sont également très simplement et habilement gérés par une série de lancers de 4 à 6 dés. Le premier groupe réussissant à faire une suite de 4 chiffres l'emporte sur l'autre. Lors du premier jet, les joueurs de la bande choisissent les dés à garder et relancent ceux qui doivent être relancés pour atteindre la suite au plus vite! Cela ne prend pas trois plombes, et cela laisse amplement la place pour raconter une belle bagarre.

Construction du personnage:

Un personnage se construira autour de 6 traits qui définissent ses capacités physiques, intellectuelles et empathiques, affectant les jets de dés via des modificateurs; viennent ensuite les attributs qui affectent son interprétation dans le jeu et peuvent impacter également ses relations avec les autres PJ et PNJ. Des exemples parmi tant d'autres d'attributs sont "étranger (gaijin)", "reclus(hikikomori)", "geek manga et jeux video (otaku)", "nymphette (lolita)", chacun intégrant dans la narration des avantages et des inconvénients.

Pas de quoi prendre un カロナル donc avec ces règles qui nous feront plonger dans le bain de Yuigahama très vite! (C'est quoi un カロナル? "Faisez vos recherches!").

Pour conclure, parce qu'au delà ça va être du divulgâchage, une proposition de jeu efficace, facile d'accès grâce à ses règles simples, son setting très fourni, et qui fait immensément plaisir à découvrir, surtout pour nous, les français(e)s du Japon!

Un jeu de Frédéric Bessy et édité par LETO Games et disponible sur Philibert (tant que les stocks existent!).