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Senior Rôliste

Blog sur le JDR, la littérature fantastique, des portraits de rôlistes, par un rôliste français vivant au Japon

Twilight 2000: Jour 3 - Cap à l'Ouest

Episode précédent: Jour 2 - Dans les ruines de Wielun

Journal du Doc - Jour 3

Avec tout ce bordel de la nuit dernière, je crois bien avoir chopé une mauvaise migraine. Impossible de dire si j'ai dormi ou divagué, mais j'ai beaucoup pensé à Marie. Pensé ? Rêvé ? La fièvre est sûrement revenue, mais à ce stade, je ne fais plus la différence.

Tony n'a pas arrêté de marmonner dans ses trois poils au menton naissant que Mirko était un fou furieux, que c'était l'incarnation de la trouille authentique. Et puis il ressassait les corps qu'il a vus dans le grenier. Ça a dû être un spectacle pour qu'il en parle encore, j'ai bien fait de ne pas aller voir. Chaque jour apporte son lot d’horreur, et je n’ai pas envie de m’en abreuver à outrance.

Mirko a monté la garde cette nuit, ce dégénéré tout en muscle était tout excité de ses exploits, et même la mine qui lui a pété à la gueule n'a pas l'air de l'avoir vraiment sonné. Il l'est peut-être déjà. Mais, mine de rien, ça m'a rassuré qu'il veille sur nous cette nuit. 

Le lendemain matin, la pluie incessante avait transformé le sol en gadoue, il faisait frais. Le char était toujours là, intact, hormis ses propriétaires originaux qu'on a laissé pourrir plus loin. Miller a calculé qu'on pouvait filer encore sur 80 km avant de tomber en panne, des obus et des munitions pour les deux mitrailleuses, on avait gagné le grand luxe, mais aussi le risque plus grand de se faire repérer. Un char, putain, qui ne le verrait pas dans ce pays plat ? Tony a eu la bonne idée de préparer une marque réversible à apposer sur le char: Z pour les soviets, et US et pour les alliés. Enfin s'il nous est permis de rêver...

En sortant de la ville, on a filé en parallèle de la route, dans les plaines, plein ouest. Tony a repéré deux silhouettes, une grande et une autre plus petite. On s'est arrêté, je suis sorti pour aller à leur rencontre. Un grand-père et une gamine de 7 ans. L'octogénaire était aimable, souriant, mais sa toux ne me disait rien qui vaille. Ils étaient trempés tous les deux, la fillette rachitique, mal nourrie. Ils marchaient vers Lodz où, soi-disant s'y trouverait un "sanctuaire", les soviets ayant tout détruit de là où ils venaient.

Je leur ai donné du pain. La fille, Kalina, l'a mangé sans se presser, son estomac devait être de la taille d'une noix de n'avoir ingurgité que de petites rations à trop grand intervalle. Le grand-père, Pavel, m'a dit qu'il n'arrêtait pas de tousser depuis 10 jours. Fièvre typhoïde. Et vu son état général, il n'arriverait jamais à bon port. J'ai même eu l'impression qu'il lâchait ses dernières forces quand nous l'avons trouvé...

Il m'a prévenu qu'au delà du pont, ça craignait, qu'il fallait surtout rester loin des gens du "troupeau", une sorte de groupe religieux complètement fanatisé, pillant et tuant. Plus à l'ouest, des groupes de pillards américains et polonais séviraient. Il a fallu du temps qu'il me déblatère tout ça, entrecoupé de quintes de toux à s'en déchirer la plèvre. 

Puis, je ne sais plus comment la conversation en est arrivée à là. J'ai dû sentir, ou lui, ou les deux en même temps, que sa route n'irait pas bien loin. Pavel m'a soudainement supplié de prendre Kalina avec moi, qu'il ne pouvait plus la protéger, qu'il était trop vieux, trop malade, trop faible. J'ai senti un léger trémolo dans sa voix, le pauvre retenait ses larmes, il savait qu'il allait mourir bientôt. Alors j'ai accepté, je lui ai dit que je m'occuperais de la petite, qu'il n'avait pas à s'en faire. Et puis c'est sorti comme ça, je lui ai dit qu'il pouvait enfin se reposer. 

On est allé un peu plus loin, j'avais pris mon flingue. Il s'est assis au pied d'un arbre qui nous dissimulait des autres et surtout de la fillette, mais, en mon for intérieur, je savais qu'elle ne nous avait pas lâché des yeux. Pavel m'a demandé une cigarette, ce que je lui ai offert de bon cœur. Il a finalement laissé couler ses larmes, il souriait. Il avait l'air content, peut être soulagé. Après quelques bouffées de cigarette, et la maladie se rappelant à lui avec une quinte de toux, il m'a longuement regardé. Je ne saurais dire clairement ce que ses yeux avaient exprimé. De la gratitude ? Du réconfort ? De la paix ? Comme s'il me soufflait un "enfin" venu de loin. Il a hoché la tête en me regardant, j'ai sorti mon revolver, viser sa tête. Avant la détonation, je l'ai entendu dire "merci".

Les gars ne parlaient pas, quand je suis revenu au char, ils me scrutaient. Surtout cet abruti de Mirko qui devait se demander si j'avais tiré sur un soviet. Kalina, elle, n'a étonnamment rien dit, et c'est vers elle que je suis venu sans dire un mot. Je l'ai prise dans mes bras, elle s'est laissée faire. Je lui ai dit que son grand-père était parti se reposer et qu'il ne pourrait pas venir avec nous. Je crois n'avoir jamais donné une explication aussi stupide pour dire à un enfant que son grand-père est mort. Mais elle avait compris. Toujours sans rien me dire, elle m'a serré dans ses bras, et j'ai serré plus fort. 

Nous avons repris la route non sans ronchonnement de la part de l'équipe. Tony m'a reproché d'avoir décidé de prendre la fille sans les consulter. "Est-ce qu'on avait vraiment besoin de l'emmener avec nous ? Les soldats au grand cœur c'est bien beau, mais quand ça va chier dans le ventilo, comment elle va réagir ? Elle va tirer à la kalach sur les soviets ? Ça va encore être pour ma pomme et celle de Mirko de protéger tout ce beau monde...". Je crois que je n'ai pas répondu. Miller était songeur, mais je crois qu'il n'a pas désapprouvé. Mirko, lui, hormis ses grognements, je n'ai jamais vraiment su ce qu'il en pensait à cet instant.

Sur une route quelque part à l'Ouest

Nous avons poursuivi la route pour enfin arriver à un pont en piteux état, mais potentiellement encore viable pour traverser avec le char. Tony est parti en éclaireur, il a détecté de nombreux impacts d'obus sur le pont, ainsi que des carcasses de véhicules carbonisés avec leurs occupants, des volutes de fumée au Sud et au Nord. 

Nous avons tâché de récupérer tout ce qui l'était parmi les carcasses: un peu de carburant et quelques munitions de M16. En faisant avancer le tank, une portion du pont s'est effondrée et celui-ci est resté coincé. C'est là que Tony, à l'autre bout du pont, a tiré un coup en l'air pour nous prévenir de l'arrivée d'un groupe de réfugiés.

Une vingtaine de personnes en loques, poussant des caddies emplis de merde, tirant des sacs éventrés. Ils étaient affamés, des femmes, des hommes et quelques enfants.  Ils crevaient de faim et nous hurlaient de leur donner à manger en polonais. Le yankee n'y comprenait que dalle, mais surtout, c'était l'odeur épouvantable qui émanait de ce groupe qui commençait à nous envelopper. 

Un des hommes a sauté sur Tony, mais a réussi à s'en défaire en lui balançant un coup de crosse. Tout s'est alors précipité: Miller a pris le contrôle de la mitrailleuse pour faire un tir de semonce et faire reculer les réfugiés. Ils étaient émaciés, ils hurlaient "on a faim", "on a besoin de protection". Dysenterie. Ces pauvres bougres ne tiendraient pas plus de 3 jours au mieux avant de tous tomber vidés de leur fluide. Alors j'ai fait la seule chose sensée à faire qu'aucun des autres soldats n'a pensée: je leur ai donné un peu de nos biscuits en échange d'informations.

Le groupe venait de Milicz, un village au delà du pont entièrement détruit par une pluie de missiles soviets il y a quelques jours, et eux aussi se dirigeaient vers le "sanctuaire" de Lodz. Décidément. J'ai lancé les biscuits et ils se sont tous précipités dessus en se battant.

Nous en avons profité pour dégager la chenille et traverser le pont, laissant les réfugiés derrière nous. Nous avons filé tout droit. Mirko conduisait, et Miller, à la radio, captait une fréquence diffusant des messages en polonais indiquant qu’une exécution de prisonniers américains allait avoir lieu, sans préciser où. La portée de la radio nous a fait croire que cela pourrait se passer n’importe où dans un rayon de 8 km.

Nous avons mis le cap sur Kepno, village le plus proche. Nous n'aurions pas dû. Nous avons senti l'odeur de la mort émanant de gens crucifiés sur de grandes croix érigées aux entrées de la ville. Des gens nus, cloués aux mains et aux pieds, pour certains criblés de balles. Kalina s'est rapproché de moi en me serrant le bras "Il ne faut pas aller là, ils sont très méchants".

Quelques minutes plus tard, nous étions pris dans une embuscade. Des tirs provenant d'hommes armés habillés en civil cachés dans les ruines retentissaient sur le blindage du char. Tony s'est pris une balle dans le torse. Mirko a pris le contrôle de la mitrailleuse extérieure et fait feu sur la droite, d'où venait le tir, déchiquetant les murs de bois et de briques et fauchant deux tireurs. 

Davantage d'hommes armés surgirent de partout, Miller m'a demandé de conduire le char et de nous sortir du village au plus vite. J’ai avancé à toute vitesse, comme je pouvais, jusqu’à ce que j’entende Miller me crier : "RPG!!!RPG!!". Et c'est là que j'ai vu l'homme positionner son lance-roquettes, je n'ai pas réfléchi, j'ai mis les gaz, et l'homme a fini sous les chenilles avant d'avoir pu tirer.

Des hommes sont alors montés sur le char, Mirko en éjectant un d'un tir dans la tête, tandis que Miller a retourné la mitrailleuse pour tuer un autre homme s'approchant de lui avec un couteau. Miller a été touché au bras gauche, avec Tony, il ne restait plus que Mirko comme homme valide. Hors de question de rester plus longtemps. 

Nous avons réussi à sortir, poussant 15 km au sud pour arriver à une forêt où nous nous sommes abrités. J'ai soigné les blessures de Miller et Tony. Ce dernier avait l'air encore secoué par les furieux de Kepno. Il a vidé son sac. Il me disait qu'il avait vécu pas mal de situations difficiles, mais là c'était vraiment le retour à une sorte de barbarie et d'horreur, teintée de symbolique religieuse à chier. Mais son plus grand stress, c'était de rester coincé dans cette boîte en acier, ce tank empestant la vodka frelatée, sans pouvoir agir directement, à la merci du moindre cocktail Molotov qui tomberait dans le poste de pilotage. 

De la vodka, on en avait dans ce tank. Je lui ai tendu une bouteille, dans l'espoir que ça le calmerait un peu. Kalina n'avait pas lâché mon bras pendant toute la tirade de Tony.

Miller dormait, récupérant de sa blessure fraîchement traitée. Tandis que Mirko regardait avec une insistance gênante la petite Kalina. Il n’y avait pas d’animosité, mais seulement de la curiosité. J'ai eu l'impression qu'il se rendait compte seulement maintenant qu'elle nous accompagnait.

Episode suivant: Jour 4 - Fuir pour vivre

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